L'anniversaire de Kim Jong-Il de Ducoudray et Allag

Jun Sang a huit ans. C'est son anniversaire. Mais en Corée du Nord, les anniversaires sont interdits, seul celui de Kim Jong-Il doit être fêté.
Alors Jun Sang est content, car aujourd'hui c'est aussi l'anniversaire de Kim Jong-Il, et il peut ainsi s'approprier un peu de ces gigantesques cérémonies mégalomaniaques. Jun Sang est un petit garçon dont la vie, comme tous les habitants de la Corée du Nord, est tributaire de Kim Jong-Il, leur cher dirigeant, le leader suprême.

Trois ans de deuil national pour la mort de Kim Il-Sung (le père de Kim Jong-Il), des statues omniprésentes et gigantesques éclairées continuellement alors que le pays subit d'innombrables coupures et pénuries, une seule chaine de télévision de propagande, une presse muselée, une quasi-impossibilité de voyager d'une région à une autre, et la certitude que Kim Jong-Il les conduira tous vers la lumière, éradiquant ces chiens d'Américains et ces fantoches de Coréens du Sud.

Jun Sang surveille son école la nuit avec ses copains des jeunesses patriotiques de son quartier pour empêcher les voleurs (Américains et Sud Coréens toujours) de s'accaparer de terribles secrets (et plus prosaïquement, empêcher le vol des lapins qui servent à fournir en fourrure les uniformes des soldats). Il travaille aux champs après l'école, ramasse la merde des humains pour faire de l'engrais et occupe ses temps libres à glorifier en tous points la patrie et Kim Jong-Il (le tout étant bien évidemment obligatoire).


Jun Sang profitera même de la première publicité à la télévision nationale! Une nouveauté en Corée du Nord, et qui proclame les bienfaits pour la santé de ne faire qu'un seul repas par jour, tout en participant à l'effort patriotique! Car oui, la famine ravage le pays qui n'investit que dans son armée, le nucléaire, et le luxe flamboyant du parti. Ailleurs, on commence à chasser les chiens, les chats et les rats pour survivre.

Mais Jun Sang a un terrible secret, sa famille a du sang sud-coréen. Et ça, ce n'est pas permis, c'est une honte et une trahison pour son pays.
Tentant de fuir vers la Chine, la famille de Jun Sang est arrêtée puis déportée dans un camp de prisonniers.
Là, torture, humiliations, famine et endoctrinement, la vision idyllique du parti et du cher général Kim Jong-Il finit par s'étioler aux yeux du jeune Jun Sang. L'amour y est interdit, la délation obligatoire, et on gagne un peu de nourritures en ramassant les morts.

Après leur libération (et la mort de son père dans une mine), Jun Sang et sa soeur s'enfuient en Chine dans l'espoir de rejoindre la Corée du Sud. Mais seule sa soeur, sauvée d'un réseau de prostitution, partira finalement. Jun Sang choisira de rester en Chine, avec l'aide d'une association de Sud-Coréens dirigée par un curé catholique, pour aider clandestinement et illégalement les Coréens du Nord à passer la frontière (le sort des Nord-Coréens en Chine étant soit le renvoi en Corée du Nord, et donc la mort ou l'emprisonnement dans les camps de concentration, soit la prostitution et l'esclavagisme).
Jun Sang ouvre enfin pleinement les yeux, et espère non pas sauver quelques personnes venues de son pays, mais bien tout un peuple et tout un pays du joug de la terrible dictature.

A l'heure où Kim Jong-Un (succédant à Kim Jong-Il en 2011) fait exécuter ses ministres, des chefs d'entreprise pour avoir téléphoné à l'étranger et que la Corée du Nord multiplie les provocations nucléaires, ce récit nous montre comment tout un peuple peut-être dès le plus jeune âge endoctriné par une propagande qui le mène à la soumission, la crédulité, la paranoïa et la peur dans la misère la plus totale. Il n'y a pas d'individus, pas d'enfants, juste des révolutionnaires dont l'existence a moins de valeur que la défense de la république démocratie socialiste. Le passage du camp de concentration de Yodok est édifiant et terrifiant, traité dans un registre graphique noir et blanc différent du reste de l'album.




Ce camp existe, parmi d'autres, tous niés par le régime.
Yodok :




Discours de Yeonmi Park, rescapée Nord-Coréenne pour One Young World :




Camp 14 :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=33&v=DOvr6r8caQk

Bulles de BD :
https://www.franceinter.fr/emissions/bulles-de-bd/bulles-de-bd-26-aout-2016

Correction :

gagadinorux a écrit:

ce récit nous montre comment tout un peuple peut-être dès le plus jeune âge endoctriné par une propagande qui le mène à la soumission, la crédulité, la paranoïa et la peur dans la misère la plus totale.

Non, le peuple n'est pas crédule, seulement victime d'un lavage de cerveau.

Bravo pour ta chronique Gaga, tu nous racontes fort justement ce livre, livre agréable mais pas vraiment bouleversant (alors que vu le sujet abordé et parfois l'horreur décrite, ça devrait). Alors peut-être que le traitement est un peu naïf, c'est toujours le risque d'aborder de tels faits depuis les yeux d'un enfant, d'autant que le dessin sonne très jeunesse, cela contribue aussi à son charme, je l'admets. J'aurai aimé que ce livre me remue un plus les tripes, je trouve par exemple que l'idée de mise en couleurs pour illustrer l'espoir est un peu convenu, le passage à Yodok en noir et blanc est bien plus vibrant.
La couverture n'est pas vraiment attractive, un autre mauvais choix, dommage.

S' il ne nous remue pas les tripes ( à l'inverse des vidéos :-(  il a le mérite de nous montrer des horreurs d'une façon soft, ce qui en fait une lecture idéale pour un public plus jeune ( que les vieux shérifs que nous sommes) ; pour en revenir à l'opposition couleur/noir&blanc, bien que ce ne soit pas un procédé très original en effet, il permet tout de même de distinguer efficacement les deux visions de l'enfant, avant et pendant son emprisonnement dans le camp : encore naïve et  idéaliste pour la première , plus grave et désespérée pour la seconde; et le retour soudain à celle-ci sur la fin créée malgré tout son petit effet. Ce que je lui reprocherai, c'est plutôt son dénouement final quelque peu expéditif, en 10 pages tout se solutionne comme par 'enchantement' , à coup de diversion téléphonique et de baguettes bien placées; aprés toutes les horreurs vécues, cela paraît tout d' un coup bien facile.
Une lecture honorable pour une cause plus qu'honorable.

Effectivement la lecture de L'anniversaire de Kim Jong-Il laisse un sentiment plutôt partagé. C'est une lecture facile et intéressante avec de beaux personnages et un déroulement qui tient le lecteur. En même temps, l'ensemble manque un peu de profondeur et on aurait aimé qu'une réflexion plus forte soit amené sur le sujet. On a l'impression de toucher du doigt un sujet brulant et de vite retirer la main pour ne pas risqué de se bruler mais, parfois, il faut savoir prendre des risques.
J'ai un peu le sentiment que Ducoudray a rassemblé un maximum d'anecdote pour en faire une histoire sans chercher à développer l'état d'esprit des personnages.
Par contre, je ne trouve pas que le dessin soit particulièrement orienté jeunesse (je ne sais pas bien ce que cela veut dire, en fait), il est simple mais dans un style très personnel qui convient bien à ce récit. La partie en noir et blanc est très efficace et correspond à la période de désillusion et de doute de Jung Sang (pas seulement dans le camp de Yodok) alors qu'avant il vivait dans les certitudes qu'on lui avait inculqué et qu'après, il a retrouvé un peu d'espoir.
Je trouve la couverture pas mal avec ce petit garçon qui enlève un bout du sourire figé au dictateur.

Le dessin de couverture reste la seule bonne idée du livre…

Joco a écrit:

La partie en noir et blanc est très efficace et correspond à la période de désillusion et de doute de Jung Sang (pas seulement dans le camp de Yodok)

Oui, le camp mais aussi le passage par la Chine. Quand l'horreur profite à l'horreur...

Couverture réussie aussi je trouve, tout comme l'album malgré des défauts.

Une petite interview des auteurs ici (qui confirme ce que je pensais sur la méthode d'écriture de Ducoudray).

Oui effectivement Joco, et merci pour le lien.

Et le livre dont parle l'auteur (Rescapé du camp 14) est d’ailleurs le sujet de la vidéo Camp 14 (lien en fin de chronique).