Avec Style, de Kaltenborn (Atrabile)

Bendik Kaltenborn est norvégien et graphiste. Il réalise de nombreuses illustrations pour la presse internationale, ainsi que les pochettes d'albums de Todd Terje.
Il publie aussi des histoires courtes en bande dessinée, regroupée dans deux recueils pour l'instant : Bendik Kaltenborn vous veut du bien et le tout récent Avec Style, publiés chez Atrabile, qui force encore une fois le respect par son audace éditoriale.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les histoires de Kaltenborn, oscillant du simple strip à une dizaine de pages, sont déroutantes. Où l'auteur veut-il en venir ? C'est d'ailleurs l'un des commentaires les plus fréquents, laissé à la suite de la publication de Zero, sa série de strips, sur le site du quotidien norvégien Dagbladet, commentaires judicieusement reproduits dans cette publication en album. Car Kaltenborn s'amuse de cette incompréhension, de cette confrontation avec le regard du public, qu'il considère faire partie de l'oeuvre.

Et dire qu'il malmène notre regard est un euphémisme. Si le dessin peut parfois se parer de gentils atours désuets, rappelant une certaine esthétique 50's, il peut aussi dériver vers une logique plus trash, ou inscrire son auteur, héritier de l'univers des fanzines et de la presse satirique, dans un rapport plus direct, physique, à la bande dessinée. On trouve du Gébé, du Willem chez Kaltenborn.


Mais c'est surtout avec la narration, parfois absente, toujours pleine de non-sens, qu'il laisse son lecteur pantois, perdu, rarement hilare... Mordant contre la société bourgeoise et ses deux types que sont l'homme d'affaire bedonnant et sa femme au foyer, Kaltenborn s'en prend aussi au jeune con (dans la série Zero, évoquée plus haut). L'humour de Kaltenborn cherche à susciter la surprise par le décalage absurde (porté aussi par une belle réflexion sur les lettrages), ce qui décontenance au plus haut point, car on a souvent l'impression de passer à côté : c'est fait pour !

Heureusement, l'auteur explique, dans un glossaire important, l'origine de la bande que nous lisons, et éclaire sur les références parfois obscures pour le lecteur non norvégien. De quoi nous rassurer un peu.


lire l'extrait sur le site d'Atrabile
site de l'auteur

Déconcertant est effectivement l'attribut qui convient à cet album, qui est un recueil de dessins, affiches, strips, BD de quelques pages.
Je me suis d'abord bien demandée comment j'allais pouvoir aller jusqu'au bout tant les bouts d'histoire partaient en tout sens (l'uateur reconnaissant lui-même qu'il ne sait pas quoi dire de certaines pages, écrites parfois dans un état second)...
Et puis, j'ai commencé à apprivoiser le style, l'humour décalé et parfois cruel, et surtout à trouver une cohérence dans l'ensemble - comme une symphonie barbare, où chaque instrument complète l'autre. Certaines pages m'ont laissée de marbre, mais j'ai beaucoup apprécié la série "les feux de l'aurore" - les soirées alcoolisées de 3 vieux dandies - ainsi que "Le Casse de la banque de Lørenskog".
J'ai souvent pensé au travail de Tomi Hungerer, dans le traitement du trait des personnages et dans le travail des couleurs - Kaltenborn est un affichiste et ça se voit dans la façon dont les couleurs occupent l'histoire (alors même que le récit n'a parfois pas de sens...)
Ca reste un album difficile à appréhender et à apprécier.

Bien déconcerté itou.
De magnifiques couleurs et un refus évident d'essayer de plaire. Ca questionne...

Film d'animation du bonhomme !

Merci Superphane ! Ce court est très bon ! Avec une vraie narration, pour le coup - et c'est agréable !
Mais quand même, on n'a pas bien envie d'être dans la tête de Kaltenborn

Ha oui, merci Superphane, j'adore !
Maintenant, concernant la version papier, j'avoue être plus circonspecte ; je pense qu'il manque effectivement aux non-norvégiens une foule de références pour savourer la chose.
Ceci dit, malgré une réticence persistante devant le dessin, je me suis surprise à rire spontanément à certaines pages ( sans toujours comprendre pourquoi d'ailleurs ! ). Pour les citer, "les feux de l'aurore " spécial sang"", le chien intrusif dans "au plus bas", le casse de la banque de Lorenskog, les pages 57 et 67...
Pour le reste, mi-perplexe, mi-navrée, pas moyen de décoller...
Chuis pas assez underground probablement

J'ai tenté et retenté.
Les affiches sont superbes. J'adore.
Je reste cependant complètement hermétique à certaines planches que je trouve d'une prétention absolument folle. Les pages de Zero avec commentaires d'internautes - réels ou non ? - sont au pinacle de ce que j'ai lu de plus détestable depuis longtemps. Kaltenborn semble nous prendre à témoin de la bétise de certains lecteurs, confirmé qu'il est dans son talent par quelques commentaires - aucunement explicatifs - élogieux (en mode facebook, cela va de soit)...
En consultant le site d'Atrabile, je constate qu'un premier recueil de Kaltenborn est déjà sorti : les extraits proposés sont en revanche asssez convaincants.

Beaucoup de choses variées et sans véritable unité ou liant, c'est un peu le problème avec les recueils.
Ceci dit, l'auteur d'Avec Style, que je découvre (malgré ses piges à New-York - excusez du peu), en a un, très identifiable. Bien sûr, on pense - comme l'a souligné Eraserhead - à Gébé, graphiquement. À la lecture, j'ai par ailleurs beaucoup songé à l'univers déglingué et absurde de Swarte, juste avant de découvrir que ce dernier avait signé un des hommages de la quat' de couv', il n'en fallait pas plus pour valider la filiation.
Maintenant… Eh bien je reste circonspect… Autant j'apprécie le fait que Kalterborn passe son temps à chier dans la soupe et souligner nos travers, nos bassesses et ce qui nous rend laids, autant je trouve qu'il n'a pas vraiment trouvé, c'est-à-dire que malgré la posture provocatrice, louable et bienvenue en cette occurrence, le prolongement de l'idée, son aboutissement, la chute des gags, quoi, n'est pas à la hauteur de l'intention. Bon, c'est du jeté, du feeling de première intention, tout ça, enfin, on ne m'enlèvera pas de l'idée que c'est surtout la roublardise qui empêche l'artiste d'aller au bout de son idée ; il y a un manque de travail évident dans la majorité des sketches du recueil. Ce qui me gêne à vrai dire le plus, c'est ce truc qui se dissimule derrière l'intention ou la réalisation, on ne sait pas vraiment, et qui fait d'un produit mal fagoté peut-être un produit branché…
C'est bien dommage, parce que les rares gags structurés sont vraiment drôles. Et le "long métrage" du volume, La Banque de Lorenskog propose un sujet bien traité de bout en bout, équilibré à souhait, et qui manie l'humour et l'aventure tout bien !

Je voudrais ajouter que la police de caractère Comic sans MS, ça fait plus plouc que branché

Vraiment pas convaincu. Un livre terne, alors que j'attendais une BD à l'esprit PUNK, on se retrouve trop souvent face à une posture de supériorité assez insupportable
La plupart des comic trip sont affligent de pauvreté narrative et graphique.

Les posters et quelques gags qui fonctionnent sont très nettement insuffisant pour sauver du naufrage cette bd.
La deception du mois.

Belle prouesse nihiliste que cette compilation… 

Vous citez Gébé, et c'est bien dommage pour lui. Car Gébé c'est notamment l'An 01 qui chez moi, est rangé à côté des livres fondateurs, bien au chaud entre le livre des morts tibétains, le Yi Jing et Don Quichotte !  Avec Style par contre j'irais le ranger sous mon frigo, car il a tendance à vibrer en ce moment et ça fera une bonne cale.

Donc à toi ami(e) qui n'a pas encore lu l'An 01, et qui aurait eu entre les mains Avec Style, ne croit pas qu'a part de très légères ressemblances graphiques c'est deux oeuvres aient un quelconque rapport. 

Fonce lire l'An 01, regarde le fim, fait un pas de côté et comme moi arrête de travailler, jette les clefs de ta voiture, et fait l'amour vingt fois par jours !

"affligeant", "cale à frigo", "naufrage", "détestable"...


Cool, je crois qu'on a bien compris pour une fois le message de l'auteur

c'est drôle d'ailleurs comme ça ressemble aux réactions réactionnaires face à chaque nouveauté un peu destabilisante en littérature, en art, etc...

C'est marrant aussi cette posture bobo snob qui consiste à voir de la nouveauté partout pour être sur de rester dans le coup…

Si il s'agit de ranger les gens des cases simplistes on peut y aller hein

Bien sûr qu'on cite Gébé parce qu'il faudrait être aveugle pour ne pas trouver d'influence graphique dans les productions du scandinave décrié.

Sinon, Nico, tu seras gentil de caler ton frigo avec tes propres livres, hein ?

bobo snob me convient assez bien, je trouve.


En tout cas, si c'est ce qu'on oppose à la posture qui consiste à casser de l'intello, je pense que je pourrai l'assumer.
D'autant que cette image se doublera d'une abjection assez poussée pour la faute d'orthographe.

Néanmoins, tu pourras je pense m'expliquer dans quel coup je souhaite rester, et dans quelle case simpliste j'ai essayé de vous fourrer : ça reste encore mystérieux pour moi ; peut-être voulais-tu parler de quelque chose de bien plus simpliste que le fait de traiter un livre de 'cale à frigo' ?

La question n'est pas de voir la nouveauté, elle est bien d'arriver dans la lecture de façon ouverte et de garder une place humble de lecteur prêt à recevoir un discours qui nous dépasse peut-être. Après, on peut voir un certain dédain dans le ton de Kaltenborn, mais je pense, et redis, que surtout, il interroge davantage la relation qui existe entre le livre, l'auteur, et le lecteur ; que cette interrogation passe par une certaine dose de provocation, de gratuité, qu'on pourra voir comme un peu de je m'en foutisme.

Fred a écrit:

Bien sûr qu'on cite Gébé parce qu'il faudrait être aveugle pour ne pas trouver d'influence graphique dans les productions du scandinave décrié.

Je n'ai pas nié une  "légères ressemblances graphiques " mais je trouve la filiation avec Ungerer que fait Feufollet plus pertinente.

Et sur le fond on est à des années lumières, et je pense qu'il fallait le dire pour les non familier de Gébé qui passent par ici.

moi, ce qui m'a agacé, c'est la dimension sentencieuse avec laquelle tu, mais pas seulement toi, as parlé de ce livre :

"Avec Style par contre j'irais le ranger sous mon frigo"

"La plupart des comic trip sont affligent de pauvreté narrative et graphique"

je laisse de côté le "détestable" qui était argumenté.

Cela dit, je suis assez dépité par le fait que tu me dises que je n'ai pas parlé du livre...


@tue-loup :

je ne trouve pas, moi, que ce soit pauvre graphiquement (ni narrativement). Je trouve même que c'est, graphiquement, particulièrement réussi, parfois même assez virtuose.

@tous :

Un livre, c'est pas fait pour plaire. Une oeuvre, c'est aussi une manière de cracher à la figure : ça fait pas plaisir, des fois. Quand c'est fait pour plaire, ça perd une grande partie de son intérêt.

Je le redis, simplement, rien ne nous donne le droit de parler des livres (choisis par d'autres : si ce livre est pressenti pour être dans les sélections du mois prochain, c'est qu'au moins l'un d'entre nous l'a voulu) en ces termes, sans un minimum développer.

Le fait d'être jury du shériff d'or ne nous donne pas ce droit : reprenant la formulation de Joco, si je me trompe sur ce point, il faut me le dire.
ça nous donne le devoir de donner notre avis (fût-il fondé sur une réaction épidermique), et de développer ça. Parce que nous (en tant qu'équipe) sommes lus (par d'autres, par les auteurs parfois, etc...), et nous (en tant qu'équipe) assumons cette discussion autour des livres.

J'avoue que je suis un peu d'accord avec Eraserhead, sur la forme. Nous devons mettre un peu de distance dans ce que nous exprimons, d'une part les jugements à l'emporte pièce sont souvent peu convaincants, d'autre part cela n'assoit pas vraiment notre crédibilité.
Par contre, sur le fond c'est autre chose car j'avoue avoir été complètement dépassé par ce livre.

Je trouve que c'est vraiment ça qui est stimulant, dans l'idée d'une présélection, c'est d'être dépassé et surpris. Si mon épiderme a également réagi, notamment lors de la lecture des strips dont j'ai déjà parlés, j'ai aimé être déstabilisé et j'ai mesuré combien parfois j'étais dans l'incapacité d'avoir accès aux intentions de l'auteur. Pourtant, le sentiment de nullité ne m'a pas envahi comme à la lecture d'Une nuit à Pompéi, d'I love Montmartre ou de Voyages désolants ( je ne veux pas me fâcher avec les auteurs et je reste prudent en camouflant les titres !). C'est plutôt l'interrogation et l'incompréhension qui sont les sentimenys dominants au terme de la lecture.

il conviendrait donc effectivement d'argumenter un peu plus pour expliquer en quoi Bendik Kaltenborn permettrait de réduire de manière significative les vibrations intempestives des réfrigérateurs.
Je confirme par ailleurs la nécessité qu'il y a à lire l'An 01, livre parfois rebutant et compliqué, dont l'esprit révolutionnaire est très lié aux aspirations du début des années 70. Pour s'initier à l'oeuvre de Gébé, on peut le faire en douceur avec Une plume pour Clovis !

Merde on est sur un forum de passionnée ou sur le site du ministère de la culture là ?!
On peut plus cloper dans les bars, prendre des photos dans les gares, rouler sans sa ceinture sans que la voiture bip, mettre la musique après onze heures, jouer au ballon dans la cour, téléphoner à côté du pompe à essence, promener son chien dans un magasin, faire des fautes d'orthographe… 
Et ici, se permettre, a la suite d'autres commentaires très argumentés, de faire un bon mot méchant sur un livre qui prend soin d'humilier par son propos jusqu'a ces propres lecteurs dans des pages d'une suffisance dégueulasse déjà évoqué par Superphane.

Si les devoirs du shérif c'est l'autocensure faut me le dire aussi, j'irais fouetter vigoureusement d'autre chats sans argumenter.

Pour le frigo faudra que je te fasse un dessin, car aujourd'hui en réaction, je boycotte le long discoure !

Dis donc, ça titille sec par ici.
Je ne viens pas jouer les modérateurs, vous êtes assez grands pour discuter, pour vous entendre, je crois qu'il ne faut pas s'offusquer à la moindre critique lapidaire envers un livre, nous en avons tous formulés, ça sera pas la première, ni la dernière, il ne faut pas que cela devienne systématique non plus.
Personnellement, je n'ai pas toujours envie d'argumenter sur les raisons pour lesquelles un livre m'a paru mauvais, je préfère garder mon énergie sur les livres que j'ai aimé, je pense que Nico l'a très bien fait sur Courir deux lièvres ou sur Quand vous pensiez, je ne peux que le motiver à continuer dans cette veine, ainsi que celle de l'humour et de la dérision car Cale à frigo, purée, ça m'a bien fait marré.