--> de Marc Antoine Mathieu ( Sens )

C'est bien la première fois que je me trouve impressionnée à l'idée d'écrire quelques lignes, tant je crains de n'être pas à la hauteur de ce brillantissime ouvrage...

Mais il mérite amplement son sujet, je me lance.

Nous voici donc devant un ovni dépourvu de titre, mais non de sens ( ahah - les craintes évoquées ci-dessus se confirment    ) : l'objet est parfait dans son habit blanc/noir/gris, avec quelques reliefs inattendus, le trait est pur et la ligne est claire ( voire limpide ).

Nous suivons donc la trajectoire d'un voyageur ( bien vite délesté de sa valise ) en imperméable : au milieu du grand vide ou du grand tout, ce sont des flèches de toutes formes qui guident ses pas. D'hésitations en évidences, de numéros d'équilibre en chutes amorties, de labyrinthes personnels en mirages universels, tout nous invite à suivre l'errance, et à accepter l'inattendu tout autant que l'inéluctable.

La lecture est magique ! Cet album fait partie des rares qui m'ont littéralement fait planer ( Little Nemo fut le premier ). Lecture intuitive est le mot qui me vient à l'esprit. On peut tout y trouver ! Le sens est partout, partout. Et surtout, très souvent, là où on ne l'attend pas.

On pourrait se croire seul et perdu dans cet univers minéral où la seule vie apparente est celle du héros... Mais non : l'auteur réussit le tour de force de nous laisser cette immense liberté de lecture sans jamais, toutefois, nous lâcher la main. C'est incroyable ... Bien loin d'être éloigné de son lecteur, il multiplie les clins d'oeil ( à Hergé notamment ) pour rappeler sa bienveillante présence derrière le crayon. Ce type est un génie.

Bref, à lire absolument, pour continuer à se laisser surprendre par les signes qui jalonnent nos routes, et avancer sans peur vers là où nous allons tous.

MAM réussit une bien belle idée : ne rien raconter en plus de 200 pages.
Il travaille le motif jusqu'à l'épuisement et fait réfléchir sur le sens de la bande dessinée.

Des échos d'illustres aînés (graphiquement, Moebius n'est pas très loin parfois ; Martin Vaughn James et sa cage non plus, Beckett et son Film, l'épure burlesque...)

C'est savant, expérimental, ludique.

Une bd, à l'état pur...je préfère me taire face à tant de perfection.

Moi aussi, j'ai suivi la --> . de haut en bas, de droite à gauche, vice versa et droit devant. En fait, c'est à peu près tout ce qu'on doit faire face à ce livre si on ne veut pas être désorienté. C'est la bonne voie à suivre et c'est bien car, au final, tout ça n'a pas de sens.

Pour tous ceux qui ont pris le temps de déchiffrer l'alphabet de MAM et de traduire
la 4ème de couverture du livre (celui à l'intérieur du livre ), et le petit cryptogramme du plan!!!!
Bon courage!
Et merci à naphtalene pour le prêt.

« L'absurde n'a de sens que dans la mesure où l'on n'y consent pas », écrivait Camus dans Le Mythe de Sisyphe, et Marc-Antoine Mathieu, même s'il fait référence de manière subtile à cette maxime, n'est certainement pas l'artisan d'une philosophie d'obédience camusienne, bien au contraire.

Car si L'Origine a été le titre de son premier livre publié chez son éditeur de toujours (qui semble lui donner une confiance « à reculons », si j'en juge par le tout petit tirage et la rapide indisponibilité du livre qui nous occupe), et que Sens (appelons-le comme ça) constitue une véritable lettre d'introduction à son œuvre et qu'il pourrait en déterminer les préceptes, tout indique, à commencer par les flèches, que l'invitation qui est proposée au lecteur se place plutôt sur le plan de l'acceptation résolue d'une ineffable fatalité que sur celui de la réflexion consécutive à une confrontation d'idées, chacun de ces cas devant déterminer le concept d'absurde, selon qu'on l'envisage du point de vue de Mathieu ou de celui de Camus.

Profession de foi de l'auteur, donc, et bande dessinée muette dont le minimalisme jalonne l'intention. Le parcours de l'homme affairé - qui traverse obstinément les livres de Mathieu sans qu'on le connaisse ni le reconnaisse vraiment (chapeau, manteau, et attaché-case) - est d'une simplicité absolue : trouver le sens, le bon sens, un sens à tout… Il ne cherche pas à comprendre autre chose que le chemin qu'on (l'auteur devenu Dieu ?) lui indique, et se plie à la signalisation (l'ordre divin ?) sans rechigner. C'est l'anti-Sisyphe. Jamais son itinéraire n'emprunte le même passage, jamais les formes du monde qu'il parcourt ne se répètent. C'est l'aventure, au sens propre, telle que la définissait le chanteur : « Laisse[r] venir l'imprudence ».

Il en est ainsi des publications de Mathieu. Chacune donne lieu à une nouvelle expérience, une autre tentative, un jeu d'ouverture de portes des possibles où le non-sens prend une dimension qui paradoxalement lui confère un sens légitime. La question qu'il se pose avant d'aborder un nouveau livre semble être celle de la définition des limites, son travail s'évertuant à les repousser le plus loin possible, du désert incommensurable où il faut coûte que coûte avancer jusqu'à l'océan déchaîné qu'on brave obstinément, à la manière des marins de La Grande Vague de Kanagawa. Vivre devient alors l'élément de compréhension de la vie, son essence.

Nous sommes les acteurs des livres de Mathieu et, une fois encore avec Sens, nous sommes nous-mêmes au centre des prises de décisions. Lorsque l'homme affairé se saisit après moult périples du livre codé, il s'agit bien entendu de ce livre que nous avons en main et dont nous découvrons le message en même temps que lui ; notre action se reflète dans celle qui anime le héros ; par un jeu de miroirs et de symboles, c'est l'humain qui se trouve au centre de la dialectique. Toute l'intelligence de Mathieu, c'est habiller le fond avec l'ingéniosité de la forme : une pudeur humaniste dissimulée derrière l'audace de la représentation.

Et puisqu'il est forcément question de symboles, celui de l'infini qui introduit la scène finale où l'homme se fond littéralement dans le sens (sans que l'on sache si celui-ci est bon ou mauvais) précise que rien n'est jamais immuable, que tout reste toujours à découvrir, à expérimenter, à défaut de recommencer.

Très belle chronique, chef !
L'anti-Sisyphe, c'est bien vu !
J'ai trouvé le livre très beau, très intelligent, c'est sûr. Le dessin d'une grande précision parvient à éviter toute froideur.
Certains "passages" - comme tu les nommes fort justement - sont moins réussis (mais c'est "comme dans la vie", non ?) et me laissent un peu à distance.

Pour aller un peu plus loin, une belle émission de France Inter avec l'auteur : ICI.

Ce qui est bien c'est qu'il faut chercher le sens. D'ailleurs il faut prendre son temps pour le trouver. Si on va trop vite on passe à côté du sens. En même temps à la relecture les subtilités donnent plus de sens et nous réjouissent. Prendre le temps de décodé le message implique une pause. Pause donnant sûrement plus de sens à cette aventure.

Il y a aussi de la confiance dans cet itinéraire fléché. C'est beau la confiance cela évite la méfiance.

très belle idée que celle de confiance dans une lecture. MAM sait effectivement la susciter.

J'ai ressenti beaucoup de paradoxes, d'oppositions à cette lecture : donner un sens avec du vide, un voyage sans but qui semble nécessaire, on est perdu et il n'y a que des flèches ! Quel est le sens de notre existence ? Nous avançons, mais pour quoi, pourquoi ?

Charles Olivier a écrit:

J'ai ressenti beaucoup de paradoxes, d'oppositions à cette lecture : donner un sens avec du vide, un voyage sans but qui semble nécessaire, on est perdu et il n'y a que des flèches ! Quel est le sens de notre existence ? Nous avançons, mais pour quoi, pourquoi ?

C'est justement à cette question que j'essaye de donner une réponse dans ma chronique…

MAM nous livre ici encore une œuvre hors norme.
J'ai beaucoup aimé certaines BD précédentes, comme "Le dessin" ou "3 secondes". Malheureusement, "Sens" ne fera pas partie de celles-ci.
Bien que je lui reconnaisse des qualités indéniables comme son originalité, la valise qui se trouve être une flèche..., je suis restée hermétique à ce voyage initiatique et n'ai pas su suivre la flèche !

Comme Eva, Le dessin et 3" sont les deux albums de MAM qui m'ont le plus retournés, depuis j'avoue être un peu hermétique aux différents exercices de style et SENS n'a pas dérogé à la règle, le manque d'émotion et la froideur y étant pour beaucoup. Pourtant, je me suis laissé aller au cheminement de cet homme, j'ai suivi les flèches attendant l'étincelle qui n'est jamais venu dans ce grand vide. Une relecture sera sans doute la bienvenue car je suis sorti de ce voyage frustré, incapable de me poser les bonnes questions, ni de conduire la réflexion et faire évoluer ma pensée.

Et maintenant MAM, c'est quand qu'on va où ?

Sinon, les plus anciens se souviendront surement de cette vidéo ? LA LINEA !
Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à cela durant la lecture ?

Je vais revenir un peu au débat qui avait déjà été présent l’année dernière avec « Le décalage », mais je trouve la prestation de MAM une fois de plus virtuose, intelligente, d’une construction remarquable… mais émotionnellement ce mois-ci « Panthere » m’apporte beaucoup plus que --> 

Rappel des com de l’an passé :
- Gagadinorus : « Peut-être juste... pour la forme... deux petites remarques :
Une BD pour bdphiles? Le jeu sur les codes ne passionne peut-être pas autant tous les lecteurs.
Une BD sans "émotions", qui du coup ne porte pas une affectivité exacerbée. »
- Eraserhead : « Pas d'affectivité ? Est-ce qu'on ne peut pas être ému par un discours sur la bd ? sur un dispositif ? J'avoue être plus touché par certaines pages de Scott Mc Cloud que par d'autres de Troll de Troy. Je suis reconnaissant à une histoire de m'apprendre des choses, de me faire réfléchir, et lui sais gré d'une profonde affectivité. »

Ben, oui... Une bd pour bédéphile... Sont-ils en minorité dans le jury ?
ou le jury voit-il plus loin que le bout de son nez en faisant preuve d'empathie avec le lecteur moyen qui n'y comprendrait rien ?

Ne vous énervez pas, je suis sans doute encore un peu dans une logique de provocation. Mais comme nous avons choisi hier soir d'éliminer ce grand livre, extrêmement érudit, je voulais juste revenir afin d'éclairer un peu quelques références advenues dans la discussion :

Martin Vaughn-James :


(Elephant, son premier album, non publié en France ?)




(la cage)


(Film, de Beckett :
dans lequel Keaton interprète un personnage énigmatique, dans l'oeil duquel tout commence, et qui erre, en essayant d'échapper au regard... dans un accoutrement assez proche de celui du personnage de MAM)

Igor13 a écrit:

Prendre le temps de décodé le message implique une pause

alors Igor??? as-tu pris le temps de traduire mon petit mot? bof... tout le monde s'en fout quoi! (soupir).
Mais il faut bien que je m'amuse, même tout seul

Pour Sens, je trouve que c'est une BD admirable, mais comme pour Superphane, quelques passages m'ont un
peu laissé sur le bord de la route, plus anecdotiques et moins aboutis.

Je suis un grand admirateur de Fred et de Philémon en particulier, et ce jeu sur les codes de la BD, les cases, les bulles, la mise
en page, la relation entre l'auteur, le lecteur et le médium m'intéresse depuis toujours.
Mais pour Sens, il me manque un petit quelque chose pour m'emporter totalement.

et je rajoute:

- j'adore La Linéa

- et bravo pour le très beau texte Fred!

J'ai cru deviner : "UNE LECTURE PALPITANTE UNE BD SUPERBE"
Mais il faut bien que tout le monde cherche un peu

Merci Mémère! Mon décodage était bloqué à "une lecture ********* une bd *******"!!!!

Bravo Mémère!!!!

Surtout qu'il y a une erreur dans la retranscription du nom de l'auteur et de l'éditeur dans cet alphabet (en tout cas pour l'exemplaire que j'ai lu) puisque les i et les e sont identiques, alors que sur la 4ème de couv' du livre, ce sont bien deux signes distincts (il y a une autre erreur, mais je me souviens plus sur quelles lettres).

Et bravo quand même Didine

Mémère a écrit:

J'ai cru deviner : "UNE LECTURE PALPITANTE UNE BD SUPERBE"

Ah ! Moi, j'avais décodé : "une lecture pas riante une bd de merde" !