La bande dessinée peut tendre à l’universel. Certaines histoires en bande dessinée sont capables de se prolonger hors des cases avec la même intensité qu’une rencontre fortuite mais déterminante.
C’est le cas du
Dessin de
Marc-Antoine Mathieu, qui s’impose comme un livre important, dès sa première lecture. Ici, la concision du récit ne laisse place à aucune sorte de digression et sert au mieux son dessein premier, celui d’admettre que la simple évocation ouvre un champ de perspectives infinies, qu’un dessin comme une seule histoire peut receler une aspiration cosmique.
Depuis des années et notamment dans le développement d’une série articulée autour d’un personnage central,
Julius-Corentin Acquefacques,
Marc-Antoine Mathieu met en scène des hommes aux prises avec le bouleversement des fondements de l’existence : le temps, la mémoire, la lumière, la logique, les dimensions, la réflexion ... Dans un contexte de totalitarisme absurde inspiré d’Orwell et de Kafka, ses personnages se heurtent à ce qu’ils savent ou se souviennent correspondre à leur réalité. Comme révolution, l’auteur leur promet l’évasion. Organisant une fracture avec les formes et les codes de la bande dessinée, il les fait voyager hors des cases, de l’autre côté du livre, dans un vortex de cases ou même à travers la
non-case. Les dérèglements dont sont victimes ses êtres de papier semblent alors devenir salutaires, l’occasion pour eux de comprendre leur place dans cet univers et d’enfin s’approprier leur réalité, à défaut de la maîtriser.
Dans
Le Dessin, la mise en page est stricte, minimaliste, l’environnement des plus réalistes. Un seul dessin s’impose comme révélateur de la réalité, ou plutôt infinité, absolu. Il conditionnera la vie d’Émile, le personnage central de cette
nouvelle, qui saura l’appréhender à sa juste valeur.
Le Dessin est un puzzle construit méthodiquement et non sans humour par un disciple de Georges Pérec qu’on imagine se réjouir avec délectation du pendant en bande dessinée de son
Cabinet d’Amateur. Alors que dans son livre, Pérec décrit l’histoire d’un tableau à mille facettes qui concentre l’Histoire de l’Art en même temps qu’il s’en joue, le dessin éponyme préfigure le destin personnel et professionnel d’Émile. Il abrite dans ses moindres détails d’autres dessins, autant de chefs-d’oeuvre en-soi, brutaux, émouvants, symboliques de l’unité dans l’harmonie du grand Tout.
Tout est dans tout, et tout mérite qu’on s’y attarde si l’on a tout à y gagner. Il y a une dimension sacrée dans
Le Dessin qui dépasse sa seule essence. L’Essence-Même s’y reflète, on y côtoie l’Universel.