Je mourrai pas gibier par Alfred

Des douilles de cartouches et un fusil de chasse jonchent sur le sol de la chambre des parents , une pelle immaculée de sang traine au fond du jardin , la gendarmerie , déjà présente commence à dénombrer les victimes , le spectacle est dramatique et désolant , un adolescent hurle à la mort , le blessé leger c'est lui ...
A la base ça devait être une fête , vu que c'était le mariage de son frère , mais une fête à Mortagne , on ne sait jamais bien ce que ça veut dire.

Voilà comment s'ouvre l'album , là ou l'histoire se termine , on comprend vite que l'objectif sera de nous faire vivre la genèse de ce drame , comment haine , violence et cruauté vont se mélanger et se confondre dans un milieu déjà rongé par la misère sociale et intellectuelle.
On remonte alors de quelques jours pour suivre le destin tragique de cette famille raconté à travers les mots du meurtrier , comment peut-on en arriver à des actes aussi irraisonnés ? Comment un adolescent va perdre tous repères et qu'il va se retrouver livré à lui même , emporté par une logique de faits qui s'enchainent et qui ne vont qu'accroitre ses convictions que dans cette histoire , il n'y a pas d'issue , que la fin est irrémédiable.
La violence de l'acte est effrayante mais répond à une violence non moins effrayante imposée par un milieu dont il est difficile de se défaire. Ce livre est d'autant plus choc et déstabilisant dans le sens où le lecteur peut tout à fait compatir à l'acte commis par le meurtrier , même si nous savons tous qu'un tel acte n'apporte raisonnablement une solution.

L'album me rappelle le traitement du fait divers de Columbine par Gus Van Sant dans son magnifique Elephant.

Après les magnifiques Pourquoi j'ai tué Pierre et Le Désespoir du Singe , Alfred signe une magnifique adaptation du court roman pour ados de Guillaume Guéraud, "Je mourrai pas gibier" (éditions du Rouergue), qui avait créé la polémique il y a deux ans.
Le dessin d'Alfred est à l'image du sujet , dur et sensible où les expressions des visages sont parfaitement abouties et essentielles pour comprendre les sentiments qui animent les personnages principaux.
Le récit très compact et homogène ne laisse aucun répit au lecteur , impossible de reposer le livre une fois ouvert , chose déroutante , quand on sait d'avance , comment tout cela va se terminer.

can

Je n'ai pas été totalement convaincu par ce livre.
D'abord parce que j'aime moins quand Alfred repose son pinceau et mincit son trait, c'est moins classe que dans le Désespoir du singe.
Ensuite parce que le ressort dramatique reste succinct et les motivations réelles du personnage principal un peu courtes eu égard à l'ampleur du désastre commis. J'aurais creusé davantage la personnalité du (anti) héros.
Sinon c'est bien raconté ...
Si tu veux le défendre jusqu'au bout (et puisque tu ne viens pas au Clube de demain et qu'on ne pourra pas en parler à cette occasion), je peux l'intégrer à la sélection de janvier (bientôt sur vos écrans) ...

Citation :

Ensuite parce que le ressort dramatique reste succinct et les motivations réelles du personnage principal un peu courtes eu égard à l'ampleur du désastre commis.

Face à un tel massacre , aucune motivations ne paraissent valables et acceptables. Vu de l'intérieur , je vois plus une dimension psychologique dans ce geste , ce jeune homme différent n'a jamais accepté de vivre comme tous les habitants de cette petite ville et de choisir en quelque sorte son clan , le seul moment où il a émis le souhait de faire autre chose , tous ces proches l'ont mis plus bas que terre , ensuite il ne fallait plus qu'une goutte d'eau pour faire déborder le vase , ce fut l'épisode de Terrence.

Citation :

Si tu veux le défendre jusqu'au bout (et puisque tu ne viens pas au Clube de demain et qu'on ne pourra pas en parler à cette occasion), je peux l'intégrer à la sélection de janvier (bientôt sur vos écrans)

Au delà de trouver une petite place pour cet album sur le forum , c'était bien un peu l'idée en faisant cette chronique , je pense que ce récit peut plaire , certains pourront le detester par la violence qu'il peut dégager , en tous cas il ne laissera pas grand monde indifférent.

Merci pour ton avis , j'ai bien envie de lire d'autres commentaires sur l'album que l'on ressentira tous de manière différente.

can

Moi, perso, j'adore Alfred. J'avais adoré "Pourquoi j'ai tué Pierre?" et "le désespoir du singe", et quand "je mourrai pas gibier" est sorti, j'ai sauté dessus. J'avoue que je suis un peu surpris des critiques négatives. Comme Can, je trouve que les raisons de ce geste fou sont bien traitées et la dialectique entre les termes "raison" et "fou" est bien exploité&e selon moi. Alfred est un auteur qui se distingue selon moi par le choix de sujets difficiles (la pédophilie dans "Pourquoi j'ai tué Pierre?",...), en s'en sortant à chaque fois magistralement. Ici, c'est une adaptation. Je n'ai pas lu l'original, et pour moi ça n'a pas d'importance. Le récit se tient, et le dessin colle bien à ce qui est raconté selon moi.

Je suis vraiment rentré dans cette histoire (comme à chaque fois avec Alfred) où le crime est expliqué sans jamais justifié l'acte. Cela correspond aussi il faut dire avec ma vision sociale, je l'avoue, où je pense comme rousseau que l'homme est bon à l'état naturel, et que c'est son éducation, ses expériences, qui le conduise à devenir mauvais. (A l'heure des tests sur les enfants pour savoir s'ils sont de futurs délinquants en puissance, l'exposition de cette thèse étayée ce genre d'histoire forte fait du bien. On comprend le héros criminel sans l'excuser bien sûr.

Bref, vous l'avez compris, ce nouvel opus d'Alfred ma encore bluffé. je pense que cela tiens aussi du fait que mon profil de lecteur de BD est d'être attiré avant tout par l'histoire que par le dessin, sur lequel le plus souvent, j'ai du mal à me prononcer. Si ca ne me choque pas, je n'ai pas grand chose à dire. c'est le cas ici. Si, je rajouterais que j'y ai trouvé une certaines originalité.

Voilà pour ma critique perso. c'est une des premières fois que je me lance dans ce type d'exercice; j'espère que mon propos n'est pas trop fouillis... Je suis impatient de vous lire pour renforcer mon objectivité; grâce à vos avis.

Au plaisir de vous lire!

Kubrick a écrit:

On comprend le héros criminel sans l'excuser bien sûr.

Justement non, on manque d'éléments pour pouvoir le comprendre. Je ne crois pas au pétage de plombs qui induit un massacre. La folie et la haine ont du mûrir des années dans la tête du gars, et on ne nous l'explique pas, pas plus qu'on décèle de grosse faille dans son équilibre. C'est la cruauté envers son pote handicapé qui est le déclencheur, c'est la haine du village qui est en lui. Est-ce que ça suffit pour vouloir tuer tout le monde sans trop de distinction (et d'oublier de le faire avec soi-même) ?
Quant au débat sur Rousseau et l'homme naturel ...

J'ai plutôt compris les motivations du type et, durant ma lecture, j'étais limite d'accord avec lui.

Bonne BD, j'aime bien le dessin et l'histoire est passionnante. Pas assez poussée peut-être mais bien quand même.

Et bien moi, je vous le dit tout net, ce livre m'a plutôt laissé froid. Oui, je sais, ça peut paraitre bizarre mais il ne m'a pas vraiment touché.... Il faut dire que je m'attendais à bien pire dans le sordide.... Il faut dire que j'avais lu le livre et que par contre, lui, il m'avait fortement déstabilisé et qu'il est beaucoup plus dérangeant que la BD. A telle point que j'étais sur d'avoir vu cette histoire en film, tellement il me restait des images dans la tête. Je n'avait pas aimé le livre, non, plus... Pas assez d'explication sur ce geste incompréhensible d'ultraviolence.
Bref, je sais pour qui je ne voterai pas !
(Même le dessin d'Alfred est un cran en dessous de ce à quoi il nous a habitué, je trouve.)

Bon ben ...déçu moi. Je m'attendais à mieux. C'est trop rapide pas assez développé, ça sombre dans le pathos à plusieurs moment...dans le glauque facile...
J'adhère pas à son comportement, ni à celui de son frère et son pote, ni à celui des gens du villages. C'est froid et stupide.
En fait je pense que dans ce genre de sujet, soit on se contente de montrer sans expliquer, soit on explique carrément, mais on ne fait pas dans la demi-mesure.

Dommage.

Par contre merci à Can de nous avoir fait découvrir cette BD car malgré tout ca reste une lecture intéressante.

Quand j'écrivais que cette BD ne laisserai personne indifférent , je crois que je ne me suis pas trop trompé , ça fait plaisir de lire vos réactions

can

Soit on est chasseur, soit on est gibier !!!
Je ne m'attendais pas à grand-chose, en toute honnêteté, avec ce titre, et pourtant !!!
A travers cet acte irraisonné de cet adolescent, l'auteur arrive à retranscrire les émotions du meurtrier... et à le comprendre !!!
J'ai vraiment avalé cette surprenante, sensible et intelligente lecture dans ce fait divers.
Merci Can !!!

on me l'a prêté, je l'ai lu, il m'a touchée très très loin et je ne pourrai plus le relire... Tout comme Kubrick je suis plus sensible à l'histoire et l'ambiance qui se dégage d'un ouvrage qu'à la technique de dessin à proprement parler (pas assez calée pour pouvoir juger !)

le récit est dense, compact (pour reprendre le très juste qualificatif de Can), et la glauquitude (oui, je néologise, scusez, hein) du milieu étouffant de brutalité dans lequel évolue le héros prend aux tripes jusqu'à la nausée.

une sacrée claque, j'ai adoré ! et détesté l'état dans lequel j'ai quitté ce livre...