Come prima d'Alfred

Avant c'était bien.
Avant on regardait les vagues tremper les filles et les filles secouer leurs cheveux entre deux vagues.
Avant il y avait les murs bleu et rouge de la ville et ses arcades désertes dans l'ombre salvatrice du midi.
Avant je t'admirais, Fabio, et ce seul sentiment suffisait à ma joie, quand tu te tenais droit et fier, une cigarette plantée entre les lèvres, et que les billes de tes yeux fixaient l'horizon avec un air de bravade.
Avant j'imaginais ce qu'on serait toi et moi, les quatre cents coups qu'on ferait, les tranches qu'on se paierait.
Mais avant, tu as fini par partir, et puis tu es revenu et je ne t'ai pas reconnu, alors tu es reparti, tu t'es estompé comme une silhouette outremer derrière les vapeurs écarlates d'un paquebot qui s'éloigne vers le jaune de l'infini.
Pourtant, la couleur que tu avais choisi était le noir. Noir de la chemise, noir de la pensée. Bien que je ne sois pas certain que tu aies jamais vraiment pensé, l'urgence t'en empêchait. J'ai prié pour que tu disparaisses. J'ai voulu te tuer.
Le temps qui passe apaise nos rancœurs, il les rend dérisoires. L'amour d'avant efface les distorsions nées des décisions impulsives, même s'il faut bien dix ans pour en panser les plaies. Pour moi, tu es resté le gosse qui pleurait en cachette dans le poulailler. C'est celui-là que je suis venu chercher.
Je sais bien que je ne pourrai pas te faire asseoir de force dans mon (notre) misérable pot de yaourt. Je sais qu'il me faudra de la patience, biaiser et avancer prudemment mes cartes. Je sais qu'à l'issue d'un nouveau combat perdu, tu ne seras pas d'humeur à goûter la surprise de ma présence. Là, juste devant toi.
Nous aurons beaucoup de route à parcourir, deux pays à traverser, des montagnes à franchir et des fous à renvoyer dans la diagonale des cordes. Nous aurons le silence. Le silence et le soleil de juillet qui fait scintiller les feuilles des orangers colorés des fruits vers lesquels tu iras te jeter, comme pour mieux savourer ton retour au pays. Tout le monde sait que les oranges ne mûrissent pas plus en été que les chiens sont doués de parole, et alors ? Même illusoire, j'aimerai ta célébration de frère prodigue.
Tu comprendras que je ne puisse tout te dire tout de suite. Il faut du temps quand le temps qui nous a séparés a duré si longtemps. Les mots ne sortent pas aussi facilement. Nous devrons nous apprivoiser à nouveau, nous battre certainement, ressentir physiquement nos retrouvailles. Mais tu sauras tout ce que tu as manqué, tu connaîtras ceux à qui tu as manqué. Tu renaîtras dans la douleur, mais les larmes qui inonderont ton visage seront des larmes de joie.
Nous avons toute la vie devant nous, cette vie qui s'apprête à quitter des êtres chers mais qui nous promet des lendemains avec aussi peu de nuage que dans les cieux qui accompagneront notre périple. Nous avons la vie et plus aucun labyrinthe de linge étendu sur des fils distendus n'emprisonnera l'amour que nous avons l'un pour l'autre.
Tu m'as tellement manqué.
C'est bien que tu sois de retour.
Comme avant.
Come prima.

Giovanni

L'Italie … le cinéma Italien … Come Prima rend hommage à celui-ci de façon remarquable. Cela culmine avec la scène au Giovanni laisse Fabio pour aller rendre visite à son ancienne compagne (qu'attendait-il de cette rencontre ? ) Celle-ci étale son linge, des grands draps blancs … La résonance avec UNE JOURNEE PARTICULIERE (Ettore SCOLA) était vraiment casse gueule, or il s'en tire merveilleusement dans un éclat de blanc, le personnage s'efface, reste que les mots et la solitude.

EXTRA BONUS : l'extrait en intégral de la scène mythique entre Sophia & Marcello, c'est en VO pour la beauté de l'Italien, en fond sonore le défilé et le discours de MUSSOLINI qui accueille HILTER … les chemises noires autre résonance avec la BD d'AFRED.       Simplement SUBLIME  

Énorme coup de cœur , j'ai tout simplement adoré. Pas facile d'être objectif dans ces conditions , surtout qu'Alfred , je le suis de près depuis pas mal d'années , à la fois séduit par son style graphique que par la justesse des émotions qu'il parvient à faire passer , Le désespoir du singe (où il est accompagné par Peyraud qui offre la même sensibilité) étant déjà un modèle du genre.
Je craignais de le voir donc évoluer tout seul , sur une histoire à lui , ce qui n'était pas le cas dans Je ne mourrai pas gibier ou dans Pourquoi j'ai tué Pierre , j'avais peur qu'il ne parvienne pas à maintenir un tel niveau graphique sur plus de 200 pages tout en supportant le poids de l'écriture.
Il s'en sort haut la main avec une histoire certes pas révolutionnaire dans son genre mais d'une grande efficacité , que ce soit dans le traitement des personnages (là aussi le rôle des persos secondaires est parfaitement tenu , comme l'intervention de Maria qui sur quelques pages nous bouleverse littéralement) , le rythme et le cheminement. Les pages muettes sont incroyables et autrement plus convaincantes que le quart d'heure américain d'Ott , elles offrent une belle alternance avec les parties plus bavardes , encore un joli équilibre de trouvé. Alors pour calmer un peu mes ardeurs , on va mettre des notes et redescendre sur terre .... ah merde ... le livre se prête parfaitement à tous les critères , 2,5+4,5+4+6 = 17 , me voilà rassuré , il sera dans mon top 3 de l'année.
Grand coup de chapeau Fred pour ton magnifique texte qui m'a bouleversé.

oui, une belle lecture, chargée (à la pelle) en émotions.
De belles influences (tue-loup en a parlé), et une histoire rondement menée. Pas si originale, mais rondement menée.

J'ai beaucoup aimé les pages de souvenirs.

Waow Fred, quelle jolie chronique ! Elle se charge encore plus après la lecture de l'ouvrage, qui m'a simplement en-chan-tée ! Alors certes, les road trips (j'ai bon:albino: ?) entre frangins/potes/père et fils etc..., c'est du déjà vu et on peut les décliner à l'infini. Mais lorsqu'on y met les formes comme ici, le lecteur peut allègrement oublier ce qu'il a lu avant et embarquer d'un pied léger dans ces retrouvailles compliquées.
L'émotion, les émotions, palpitent au coeur de ces belles planches, les couleurs sont magnifiques.
Une vraie réussite que cet ouvrage-là, et un vrai coup de coeur pour moi !

Merci du fond du cœur à vous
Oui, Naphtalene, le background n'est pas des plus originaux mais, comme tu le dis, qu'est-ce que ça peut faire ? Ce qui compte, c'est la sensibilité, la personnalité et l'amour qui transparaît ! Le talent d'écriture et d'interprétation…
Et Tue-Loup a vu juste avec le merveilleux film d'Ettore Scola que je ne peux que recommander à ceux qui ne l'ont pas vu. Un des plus beaux rôles de Mastroianni et Loren, qui pourtant n'en ont pas manqué.

De bon matin, en terminant l'album, j'ai versé une petite larme.
Le mélange de grave et du léger est agréable et rappelle effectivement les tragi-comédies italiennes.
Je trouve le dessin quelque peu inégal : les scènes de boxes au début sont assez moches, par exemple mais les moments d'enfance stylisés sont très chouettes. En revanche, l'utilisation des couleurs est remarquable : on sent vraiment que peu à peu, on s'approche de l'Italie.
Au final, un joli moment mais pas vraiment d'enthousisme pour cette histoire assez convenue et bien fichue.

Difficile, après tant d'éloges, de passé dire un mot et pourtant...

Et pourtant, il y aurait tant à dire. Quand les relations entre frères sont si tendues et si tendres. Quand le rapport au père est si compliqué et doit pourtant sortir de l'impasse. Quand les contours de cette famille que l'on croyait avoir rayé de la carte sont si flous qu'ils s'étendent et vous happe à nouveau. Quand la vielle voiture familiale s'en mêle, elle aussi, vous mène là où on ne veut pas forcement aller et fini par vous renverser. Quand le chien, vagabond abandonné, donne lui aussi des leçons de savoir vivre.
Alors, il y a beaucoup à dire. Et, ici, c'est fait de belle manière. De la plus belle qui soit, avec de belles images soignées qui prennent le temps de souffler. Des points de vue bien choisis et qui en disent long. Des couleurs simples et magnifiques d'expression. Des dialogues juste comme il faut (contrairement au cinéma italien qui est très, trop, bavard à mon gout).
Ici, on prend le temps. Le temps du souvenir dans un graphisme très beau que l'on aimerait voir en grand format sérigraphié, comme une impression qui n'aurait gardé que l'essentiel. Les souvenirs qui se reconstruisent au fur et à mesure que la mémoire revient à la vie, celle d'avant. Les images qui ressurgissent et s'ajoutent les unes aux autres.
Aucune rencontre n'est gratuite car le chemin est long pour que tout revienne à sa place. Mais quelle place, au juste, car tout reste à faire finalement.









Et pourtant ça n'avait pas forcement bien commencé pour moi, avec cette charmant fille qui se lave les fesses dans la chambre alors qu'il y a une salle de bain à côté (dans une très belle planche, d'ailleurs !). C'est pas grave mais c'est le genre de détail qui me déconcentre. C'est comme les bottes de foin qui, à l'époque n'étaient pas rondes mais carré, voir peut-être même en meule. Mais là, je pinaille.

Eloge de la concision :
Super!

Voila voila, après ton très beau texte Fred, et les quelques belles lignes des jurés...
je passe mon tour.

Superphane a écrit:

De bon matin, en terminant l'album, j'ai versé une petite larme.
Au final, un joli moment mais pas vraiment d'enthousisme pour cette histoire assez convenue et bien fichue.

Si ce n'est celui de la larme versée…
Ce qui supplante tous les discours possibles…
Tripes n'est-il pas l'anagramme d'esprit ?

En fait c'est un road tripes.

Oui

Que dire de plus après la chronique de Fred qui n'omet rien de ce qu'on peut ressentir en lisant ce livre et ce que certains membres du jury ont pu rajouter.
On verse sa petite larme et ça c'est déjà énorme! Un moment passé que l'on n'oublie pas.
Mon coup de cœur de ce mois!

Coup de coeur, coup de foudre, émotions, LARMES … cette année on devrait organisé la remise du shérif en ITALIE …
On irait manger des pâtes, boire du chianti, écouter Gianmaria et cette sublime chanson …

Mon gagnant de ce mois. BD très réussie tant au dessin qu'au scénario. La couverture est très belle. L'histoire est très touchante, pleine d'émotions. Un vrai bonheur de pouvoir lire ce genre d'ouvrages.

Tue-Loup a écrit:

Coup de coeur, coup de foudre, émotions, LARMES … cette année on devrait organisé la remise du shérif en ITALIE …
On irait manger des pâtes, boire du chianti, écouter Gianmaria et cette sublime chanson …

et puis on passera par l'hopital pour verser une larme ? ( )

Je suis d'accord avec vous sur la cascade d'éloges que vous faites -même si ce livre ne m'a pas fait pleurer. Un point cependant pour pinailler, je trouve la fin un peu trop belle et lisse. Les toutes dernières pages sont-elles nécessaires ? Les relations que l'ont voit se réveiller dans leur complexité dans le voyage ne suffisaient-elles pas ? Pour moi ces dernières pages n'enlèvent rien au livre réussi, mais je ne suis pas certain qu'elles soient nécessaires... La preuve : lorsque ce livre me revient en mémoire, elles n'y sont plus.

Un très beau livre, même si comme Superphane, quelques dessins (peu nombreux) m'ont parfois moins convaincu.

Ah Italie quand tu nous tiens !! J'ai pu revivre à travers Come Prima les longues heures passées sur les routes enlacées de Toscane, ressentir la douce odeur des orangeraies, me remémorer l'accueil chaleureux des villageois... Sans oublier ce besoin constant de réconciliation avec les autres, avec la vie...

fauve d'or à Angoulême   

FAUVE D'OR...
On aura tout vu...

Je suis content pour mon ami Can, mais désolé pour le superne livre de Rutu Modan, juste derrière...
Et rien pour Joseph Lambert, édité par Ca et Là, déjà récompensé avec Mon ami Dahmer ni pour Alison Bechdel... Où va le monde ???

Cérémonie en direct sur le site qui est complétement ridicule, par ailleurs...

Youpi         !

Je ferai donc partie du jury pour le 42ème festival l'an prochain. Je suis en effet très content pour Alfred, un auteur oh combien gentil et modeste. Nous sommes donc vengés avec Manu avec le Grand prix pour son avatar, le père de Calvin & Hobbes, Bill Watterson.

Très surpris également de voir Annie Sullivan & Helen Keller repartir sans rien  .

C'est ça le secret : il faut être gentil et modeste !   
C'est vrai qu'il est tout sympathique, je l'ai vu.
Et les deux gus de Ma révérence, c'était pas les derniers pour faire rire lors de la cérémonie !!!