Comme nous nous étions bien régalés, Didou (mon pote en aventure sur deux roues) et moi, à faire cette même rando l’an dernier, on avait décidé de remettre ça avec un itinéraire un peu différent. Mais ce coup-ci, plus de grand sac-à-dos à traîner : Aelis, la cousine de Didou, allait faire les deux premières étapes en voiture et se charger des ballots puisque Vincent, son boy friend, était de la partie pour rouler. C’était d’ailleurs la grande inconnue : comment roulait Vincent ? Parce que parcourir 450 bornes sur un parcours plutôt difficile en trois jours n’est pas forcément évident et qu’il faut se connaître un peu pour décider que c’est à sa portée. Et, du reste, la météo de jeudi allait nous corser l’affaire.
Rendez-vous
jeudi matin chez moi où nous prenons le café avant de rejoindre Vincent qui nous attend à trois kilomètres de là. Une première rincée nous donne un avant-goût de ce que nous allons endurer au cours de l’étape. Première image, le vélo de Vincent, un Trek Madone équipé au mieux,avec des braquets de coursier, qui sera un des éléments qui lui vaudront son futur surnom : Armstrong. Vincent nous rejoint. Il a une ligne de coureur et des jambes parfaitement épilées. On fait connaissance le long des routes qui longent l’Allier et mènent à Brioude. En fait, nous suivrons le cours de la rivière une bonne partie de la journée. Pour l’instant, il ne tombe qu’un crachin peu gênant. Vincent est un gars du Gard, il a un peu la bouille de Virenque. Il a couru en National jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, gagné quelques cyclos, et raccroché depuis cinq ans. Il ne s’entraîne plus trop et ne compte cette année que cinq cents kilomètres au compteur.
A Brioude, ça pleut comme le poing et on roule assez vite pour sortir sans tarder de la grosse route. Ça va mieux après Vieille-Brioude où l’on retrouve la vallée de l’Allier. Vincent est le seul à être en court et sans couvre-chaussure. Pour se réchauffer, il plante quelques accélérations et on commence à comprendre que même s’il n’a pas beaucoup tourné ces derniers temps, le moteur est toujours là.
Lavoute-Chilhac, Langeac, St-Arcons, et on suit les petites routes des gorges de l’Allier. Eglises du XII° et XIV° siècle, escarpements de rochers, le décor est grandiose. Pas de photos pour cette partie car pluie, mains mouillées et peu d’envie de s’arrêter. Les têtes en disent long à Prades, où l’on trouve une boulangerie et des quiches :
On ne s’attarde pas pour ne pas refroidir et geler (on est trempés de partout). Et on va vite être chauds de nouveau. On hésite sur la route à prendre, elle n’est pas indiquée dans le village. Un autochtone nous la montre et nous demande si on compte sérieusement passer par là. Pour monter à La Vialle-Destours, il y a 15%. On prend 400 mètres en trois kilomètres. Parfois, le goudron manque, il n’y a pas beaucoup de circulation. Vincent tire comme un bœuf son 39/23 et la transpiration se mèle à l’eau de pluie sous les vêtements. Quand on se met debout, la roue arrière perd son adhérence tant la route est raide et mouillée. Enfin, le haut :
On a rejoint les plateaux de Haute-Loire. Maintenant, ça va vallonner sec jusqu’à l’arrivée. St-Préjet, Chapeauroux, Laval-Atger, on avance à allure modérée et avec le sourire. En effet, la pluie s’est arrêtée et on a pu quitter les bâches. Les côtes arrivent à point nommé pour nous garder au chaud et le vent des sommets nous sèche un peu les habits. Par contre, les irritations causées par les projections incessantes d’eau et de sable sur le cuissard commencent à nous brûler l’arrière des jambes, au niveau des coutures de la peau de chamois.
Le vallon de l’Ance :
Après avoir fait le plein des bidons chez l’habitant, on arrive au lac de Naussac et rouler au bord est agréable.
Passage obligatoire par cing bornes de nationale, ce sont toujours des moments pénibles entre densité de circulation et pots d’échappement. On s’en tire vite fait au prix de quelques relais appuyés et c’est la dernière ligne droite : une jolie route au-dessus de l’Epezonnette et une dernière montée jusqu’à L’Auberge de Peyrebeille. Quand on a demandé à un gars au bas de la côte si c’était bien par là, il avait un petit sourire. Une bonne côte sympatoche, un peu comme celle qui monte à Montgreleix par la ferme-des-chiens-qui-gueulent.
Là-haut, Aelis nous attend, ainsi qu’une chambre style motel au bord de la route 66, et avec des radiateurs poussés à fond, ce qui est une aubaine pour nos fringues. Demain, tout sera sec.
Après le départ des derniers clients, on se rend compte autour d’un verre qu’on est les seuls à rester là pour la nuit. Quand on connaît l’histoire du lieu, ça nous donne une drôle d’impression (au XIX° siècle, des voyageurs s’y firent égorger en nombre, on lui donna le nom d’Auberge Rouge).
pour en savoir plus sur ce coupe-gorge, cliquez iciA défaut d’époux Martin et de Rochette, une grande famille compose les gens du relais. Le fils, avec qui nous traitons directement, les parents, l’employé qui n’en mène pas large, et des grands-parents cachés quelque part. On nous installe dans la salle de restaurant, une pièce immense qui pourrait aussi bien servir pour un bal. Une table de quarante couverts est bien dressée, mais c’est pour le lendemain midi. Et les tauliers vont et viennent, entrant par une porte, sortant par une autre, nous lançant des « tout va bien ? » entre deux sonneries de pompe à essence. Une ambiance à la
Shining.
Bien qu’on soit les seuls clients du soir et qu’on vienne de rouler 170 bornes dont les deux tiers sous la pluie, on n’en est pas mieux respectés ; bonne entrée de bonne charcuterie, pain et vin, impeccable ; oh ! Tiens ! Une omelette ! Bonne idée avant le plat principal ! Tu parles, on a compris quand il a apporté le fromage juste après l’omelette ! Vous prendrez des desserts ? Oui, qu’est-ce que vous avez de plus calorique ? Une gauffre nutella-chantilly et au pieu, on se rattrapera au déjeûner le lendemain.
Bilan : 169 km à 24,4 km/h. pour 2400 mètres de déniv+
Vendredi. C’est l’hiver. Huit degrés au moment de partir, du vent et une légère bruine.
On a deux cols à passer avant de plonger en Ardèche. Le premier, col du pendu (décidément, c’est une région morbide), se cache dans les nuages, mais le second, col de Meyrand, est à découvert, et derrière, oh surprise, le soleil nous tend les bras.
Vincent fait des bonds de la hauteur de son vélo et commence à prendre un gros moral. Il a bien souffert en Haute-Loire et le sud le regonfle à bloc. A partir de ce moment, Didou et moi n’aurons de cesse d’entendre ses quolibets sur l’Auvergne, ses vallons, son temps pourri, etc … etc …
On enchaîne par une descente longue de vingt kilomètres et un peu technique. Du pur régal. Valgorge, Joyeuse. On enfile les maillots courts, sauf Vincent qui garde la veste (vé, c’est pas encore l’été non plus !).
La vallée de la Beaume :
Comme je l’ai dit, Vincent, pardon, Armstrong, se sent pousser des ailes et dorénavant, on ne pourra plus le tenir. Accélération sur accélération, on prend certains passages à 50 (vent dans le dos) sous son impulsion et rejoignons Ruoms en un rien de temps. On décide de manger au même endroit que l’an passé, buffet de hors d’œuvre. Le patron nous reconnaît et on blague un peu avec lui. Vue de la terrasse ombragée du restau :
La chaleur commence à se faire sentir mais Armstrong garde la veste. Pourtant, ça va rouler fort jusqu’à l’arrivée. Peu de photos de cette partie, donc. Une bonne côte pour grimper au plateau des gras, au-dessus des gorges de l’Ardèche nous facilite la digestion. Attaque d’Armstrong. Il emmène un braquet terrible, ses jambes ne tournent pas très vite mais ses roues, si. Il voulait se tester, c’est réussi ! Personne ne pourra aller le chercher.
On termine la journée à bloc, j’ai juste le temps de prendre une photo des gorges.
St-Martin, Pont St-Esprit, Mornas (château magnifique au bord de la falaise qui surplomble le village) et Piolenc où nous sommes accueillis royalement, comme d’habitude par la famille de Didou.
Bilan : 151 km à 30,7 km/h pour 1220 mètres de déniv+ et 2400 de déniv-
La météo pour le tour de
samedi est idéale. On ne l’a pas mérité qu’un peu. Grand soleil, 27° au plus chaud en plaine et pas de vent. Armstrong a changé sa cassette et troqué son pignon de 23 contre une couronne de 27. On va certes monter par Malaucène, mais c’est quand même très dur.
On profite de cette belle matinée en plaisantant et en roulant tranquille entre les vignobles. Ces moments-là expliquent la magie du vélo, la complicité entre ceux qui roulent ensemble comme dans la chanson
A bicyclette. Ils comptent pour beaucoup dans mon amour de la petite reine.
Mais les reliefs se rapprochent :
Vaison, Malaucène, nous y voilà. On a chacun un bidon plein pour l’ascension, ça devrait suffir. Les chronos sont lancés, faites vos jeux, rien ne va plus.
L’année dernière, on était monté par Bédoin. Par Malaucène, c’est différent. Il y a beaucoup plus de relâche, on peut se refaire la cerise entre les rampes bien costaudes à 10-12%. De l’autre côté, c’est 10% réguliers sur 15 kilomètres, jusqu’au Chalet Reynard et le pierrier où la pente devient moins forte. Et puis, ce versant n’est pas abrité par les arbres, ça commence à chauffer. Armstrong, ça ne le dérange pas bien. Il a trois couches sur lui, le haut de sa combinaison, un maillot et un coupe-vent qu’il ne quitte même pas pour la montée ! Il est parti dès le bas et on ne le reverra pas. Je gère mon effort, mon cardio m’aide bien pour ça. Je fais la montée en 1h36’ à 156 bpm de moyenne et 172 maximum. J’accuse un peu le coup après le Chalet Liotard mais j’arrive à avaler une pâte de fruit et je suis requinqué. Comme à l’habitude, on dépassera nombre de cyclistes à l’arrêt ou à l’agonie. La restauratrice chez qui on mangera au retour à Malaucène nous apprendra que c’est aussi la conséquence de quelques hasardeux paris malheureusement perdus ! Enfin, pas de vent, mais des nuées de moucherons auréolant les courageux, et plus particulièrement ceux qui vont le plus lentement. Des fois aussi, des vrombissements de moteur se font entendre et on voit filer des motos qui se font la course de côte. Dangereux.
C’est la foire au sommet. Les bagnoles sont jetées n’importe où et il est malaisé de se frayer un chemin. Armstrong est là depuis un quart d’heure et il a eu le temps de se boire un café. Et bien, heureusement qu’il n’était pas plus entraîné !
Surtout qu’on fait le retour à bloc de bloc (c’est la fin, on jette toutes nos forces) : 45 bornes avec léger vent trois-quarts face à 34 de moyenne en prenant des relais réguliers tous les trois ! On peut dire qu’on aura progressé au contact de Vincent.
Bilan : 132 km à 24,8 km/h pour 1900 mètres de déniv+
Imaginez la descente dans les pierres en vtt :
Voilà, une aventure de plus terminée, et encore une fois, tout fut bon à prendre, les bons moments comme les instants plus difficiles, mais les derniers nous font bien sûr mieux apprécier les premiers.
Je ne connais que le vélo pour me donner cette sensation de liberté et d’évasion.