Gramercy Park de Thimotée de Fombelle et Christian Cailleaux

Ce qu’on retient au premier abord de Gramercy Park, c’est une narration susurrée, languissante et éclatée, qui ne dévoile que par bribes les tenants et aboutissants du jeu de chat et de souris auquel se livrent Madeleine et George, d’une toiture à une baie vitrée, à la manière d’un Fenêtre sur cour exclusif. Pour sa première bande dessinée, Timothée de Fombelle a choisi d’adopter la position d’un poète en s’affranchissant de la précision démonstrative si commune aux récitatifs de bande dessinée, et en distillant des cartouches d’un texte réduit à des impressions fixées par une voix off mélancolique mais déterminée. Madeleine raconte, par association d’idées qui font voyager le lecteur d’une époque à l’autre, ce qui l’a conduite à l’improbable pratique de l’apiculture sur un toit de New York. L’histoire est cruelle, chargée d’abandon et d’aveuglement ; elle a laissé derrière elle des torrents de douleur. Et Madeleine, comme n’importe quel être meurtri, aspire à « la consolation ». Le monde de George recèle tout autant de mystères, entre porte-flingues à tire-larigot, flics en faction et sorties dominicales. Il est écrit dès la première page que ces deux-là devront s’affronter.

Le choix de Christian Cailleaux comme œil s’avère évident. La complémentarité de son univers graphique avec le ton de Fombelle s’impose à chaque page du récit. Plus que le sol du parc Gramercy, qui figure un point d’ancrage dans le quartier de la ville, c’est la hauteur des gratte-ciel qui détermine le champ graphique. Les immeubles s’enfilent les uns dans les autres, se substituent les uns aux autres, dans une forme d’évanescence qui n’est pas sans rappeler la légèreté de trait de François Avril. Texte et dessin rivalisent d’élégance et de distanciation poétique, comme pour laisser les personnages s’emparer du récit, le prendre à bras-le-corps, et abandonner les conteurs au même sort que les lecteurs, dans un rôle de contemplateurs surpris.

Un seul regret, les couverture et quatrième de couverture : l’arme à feu qui prolonge le bras de Madeleine n’est représentative ni du ton du récit ni d’un élément narratif incontournable (on peut trouver sur le site de la galerie Barbier & Mathon des essais beaucoup plus concluants !) ; le double strip choisi comme symbole de l’œuvre en quatrième de couverture ne rapporte pas le dialogue le mieux troussé du livre, loin s’en faut ! Je suis certain que pour leur prochaine publication, les auteurs prendront conseil auprès de moi pour les options de couverture, en attendant, c’est une formidable bande dessinée qui nous est proposée, une bande dessinée incarnée, qui flotte au-dessus de la ligne si fragile de l’équilibre, en apesanteur.

Bien dit, l'ami ! Très bien dit.
Je viens juste de lire ce magnifique livre et je partage cet avis éclairé.

classique.
ça se tient, ça se lit. Mais bon, comme déjà toute une tripotée de récits noirs... Qu'apporte celui là ? Quelques rares belles idées de mise en case, et une sorte de suspense pas très solide sur les motivations de la belle... Jusqu'au twist final tellement mièvre !
Ne doutons pas que ce récit efficace trouve ses lecteurs

Ce n'est pas le genre noir que j'ai retenu dans ce livre, ni même la qualité d'un suspense qui n'est pas l'enjeu principal du récit, mais plutôt l'originalité et la qualité de sa narration, qui, je te l'accorde, inclus la "mise en cases".
Pour ce qui est de recueillir des lecteurs, c'est très loin d'être le cas, si j'en crois les statistiques de l'observatoire des ventes de Canal BD : seulement 400 ventes après trois semaines d'"exploitation", c'est très faible, voire incompréhensible tant ce livre tient le haut du panier de la production. Ça a toujours été compliqué de vendre du Cailleaux, quoi que ce soit (un peu moins accompagné de Giraudeau), ça semble malheureusement perdurer…

fred a écrit:

seulement 400 ventes après trois semaines d'"exploitation"

ah oui, effectivement !

La vengeance pour consolation...
Le privilège de Gramercy Park pour consolation...
Les non droits pour consolation...
Cet ouvrage nous questionne, sur fond de polar dont les pièces s'assemblent petit à petit (et très subtilement), sur "l'après" et surtout comment le vivre.

Belle chronique et avis fort juste et éclairé de l'ami Fred, toute la force du livre réside dans l'équilibre à la fois fragile mais fortement maitrisé entre la narration et le dessin, entre la récit et l'histoire, entre le fond et la forme. Un tel scénario aurait été dans 90% des cas exploité de façon classique, maladroite et donc pas forcément intéressante, ce n'est pas le cas ici, un souffle délicat et subtil flotte tout le long de ces pages pour nous délivrer au final, un livre qui laissera son empreinte, un peu comme le Emma G. Wildford, de Zidrou et Edith, sorti l'an passé.

Can a écrit:

Un tel scénario aurait été dans 90% des cas exploité de façon classique, maladroite et donc pas forcément intéressante, ce n'est pas le cas ici

ça n'est pas maladroit, et c'est assez subtil, mais ça n'empêche que c'est classique.

eraserhead a écrit:

Can a écrit:

Un tel scénario aurait été dans 90% des cas exploité de façon classique, maladroite et donc pas forcément intéressante, ce n'est pas le cas ici

ça n'est pas maladroit, et c'est assez subtil, mais ça n'empêche que c'est classique.

Ben justement je trouve que c'est suffisamment subtil pour ne pas être classique, j'entends par classique une narration linéaire et sans surprises, une narration où le dessin se confonds au texte sans rien n'y apporter, ici le dessin vient en complément et délivre un rythme lancinant, presque hypnotisant.

Une très belle lecture.
Un livre réussit ne doit pas nécessairement être révolutionnaire, et oublier les clefs, les ellipses déjà utilisées.
Je n'ai en rien ressenti cette lourde impression de "déjà vu" ; avec ces pages, c'est au contraire la maitrise et la grâce du récit qui m'emballent.

C'est assez bien fichu et TRES prévisible. C'est agréable mais vraiment oubliable.
C'est le dessin et la mise en page qui m'ont le plus touché. Le scénario est plutôt faiblard.

Vraiment rien à reprocher à ce bel et gracieux album, qui vous fait voyager dans le temps et joue de la verticalité avec finesse. Une très belle réussite !

Je n'ai pas trouvé le récit si prévisible que ça, en tout cas la narration permet de se laisser porter sans être dans l’expectative, avec un ton plutôt poétique, doux et parfois amer. Si le scénario est assez classique, je partage l'avis que sa mise en cases est très aboutie et donne une lecture savoureuse.
Dommage effectivement pour cette couverture que je trouve aussi peu représentative de la BD.
Pour le reste, je partage l'enthousiasme de Fred dans sa très belle chronique.

Vous me reexpliquerez l'histoire de la couverture ?

fred a écrit:

Un seul regret, les couverture et quatrième de couverture : l’arme à feu qui prolonge le bras de Madeleine n’est représentative ni du ton du récit ni d’un élément narratif incontournable...

Que dire de plus, son air vengeur et le pistolet à la main, le regard fixé sur l'immeuble d'en face, donne une vision simpliste du récit.
(peut-être plus accrocheur...).

Ne trouvant pas le récit bien compliqué, c'est pour ça que je ne comprenais pas...