«
La cage est toujours là... inachevée et pourtant en ruines »
Dans cette première phrase du plus célèbre récit de Martin Vaughn-James, La Cage, tient toute la problématique du récit, une opposition entre lieu et temps, une fracture dans la dimension temporelle même, entre la permanence et la décrépitude.
Toute la problématique, et tout ce que le livre a à nous proposer de vide : une cage vide, inutile, puisqu'elle est seule protagoniste de cette histoire sans temps, sans lieu, et sans personnage... Durant les quelques 180 pages, Vaughn-James nous installe dans un regard qui parcourt des lieux, souvent difficiles à connecter, à enchaîner.
La Cage comporte comme sous-titre « A Visual-Novel ». Un roman-visuel(s). Avec un trait d'union qui pousse à lire ce sous-titre comme composé de deux noms, et non comme un nom et son adjectif. Autrement dit un roman-images, plus qu'un roman visuel, ou un roman graphique. La Cage est pourtant l'un des premiers livres pouvant prétendre à cette appellation, rendue célèbre quelques années plus tard par Eisner.
Selon wikipedia, un roman graphique est une œuvre « généralement longue [et] plutôt sérieuse ». Le site place la création du terme dans les années soixante, avec comme ancêtres les œuvres de Masereel. Si « sérieuse » s'oppose aux éclats de rire provoqués par certaines bandes franco-belges, assurément La Cage l'est. En revanche, la question de la longueur est toute relative, et pour un livre comme La Cage, il vaudrait sans doute mieux parler d'ampleur.
De Masereel, La Cage conserve une organisation en illustrations pleine page, mais si les deux images mises en relation dans les récits par gravure se répondaient et créaient un enchaînement, Vaughn-James les utilise différemment, avec une réponse spatiale, comme si les deux images s'enchaînaient non plus narrativement, mais constituaient un dyptique qui propose une unité spatiale, alors que le texte amène un enchaînement temporel.
La lecture de La Cage est donc souvent heurtée, contrainte par ces deux fils opposés, l'envie de lire dans l'espace les deux images, et l'obligation de suivre le flux textuel dans le temps.
Dans quel temps est-on, dans quel espace ? C'est ce que raconte La Cage. Indétermination flottante dans laquelle est le regard, car c'est peut-être lui le véritable sujet du livre ; en tout cas c'est ce que signifie le sous-titre.
Car si roman graphique oriente la question du livre vers l'auteur (celui qui trace), visual-novel oriente davantage vers le percepteur, celui qui voit, à qui le récit se présente tel qu'il est : un contenant vide, qu'il faut remplir, mais qui contient en lui-même les traces, les ruines du processus créatif (pensons aux haies d'appareils d'enregistrements – caméras, machines à écrire...- fondus le long de la voie menant à la pyramide).
Ce rapport au récit dans son processus d'engendrement et à une temporalité flottante, on le retrouve dans tout un pan de la littérature théorisé dans les années soixante par Robbe-Grillet, auquel Vaughn-James se réfère comme influence, ainsi qu'à Butor ou Simon. Il cite dans la préface du livre L'année Dernière à Marienbad avec lequel La Cage entretient de forts liens thématiques et visuels (l'enfermement, de longs travelings, les ruines...).
Cette œuvre à part, peu connue, a pourtant essaimé durant près de 40 ans. On en retrouve les traces dans le monumental Here de Richard MacGuire, qui pourrait être lu comme un remake de La Cage, mais aussi chez Marc-Antoine Mathieu (3 secondes, ou surtout Le Sens) ou Alexis Beauclair (Labyrinthe :
http://www.du9.org/chronique/labyrinthe/), dans les Cités Obscures ou les livres de José Roosevelt.
La Cage est publiée en album en 1975 au Canada, puis en France par Les Impressions Nouvelles en 1986.
Les rééditions du livre se rapprochent ensuite davantage d'un format 'roman graphique', plus réduites en taille, couverture souple. Aux Etats-Unis, la réédition comporte une préface dispensable de Seth, et une préface plus intéressante de l'auteur expliquant la genèse et le contexte de l’œuvre.
Il existe plusieurs analyses de La Cage, notamment celle de Thierry Groensteen (La Construction de La Cage – très éclairante) qui se trouve heureusement ajoutée à l’œuvre dans la dernière édition française.
On trouve aussi de nombreuses œuvres de Vaughn-James disponibles sur le site ubuweb.com, celles qui n'ont pas été publiées en album, mais aussi La Cage (en version originale).
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références :
sur le terme roman graphique :
http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448 www.ubuweb.com/vp