Sur les ailes du monde, Audubon par Fabien Grolleau & Jérémie Royer

« Une vie nouvelle coula dans mes veines. Je tournais les pages avec avidité ; et bien que ce que je voyais ne fût pas ce que j’espérais, il me donna le désir de copier la Nature. »
C’est ainsi que le jeune Audubon (1785-1851), décrit sa révélation après que son père lui a montré un recueil d’illustrations naturalistes. Avant tout chasseur et taxidermiste, ce passionné d’oiseaux « désirait posséder toutes les productions de la nature, mais désirait la vie en elles ».

Ambition vertigineuse qu’il s’évertuera à mettre en œuvre dès l’âge de 23 ans, en commençant par représenter les espèces qu’il observait. C’est deux ans plus tard, à la suite de sa rencontre avec Wilson, ornithologue réputé, ami et non moins concurrent qu’il émettra le souhait démesuré de répertorier et représenter TOUS les oiseaux d’Amérique. Ainsi naîtront les premières planches de ‘ Birds of America ‘ qui le conduiront, 30 années durant, à parcourir les territoires d’Amérique du Nord mais aussi l’Europe afin d’y trouver graveurs et souscripteurs plus réceptifs à son art. Car c’est bien du grand Art que nous délivre ce visionnaire, ardent défenseur d’une représentation plus réaliste et expressive de la nature, inspirée d’une vision romantique ; à cause de cela, Audubon peinera à trouver un public sur sa terre d'adoption et devra s’exporter en Grande–Bretagne pour trouver enfin une forme de reconnaissance, 18 ans après ses premiers dessins…


A travers la biographie passionnante de cette personnalité hors du commun, les auteurs nous livre une vision de l’Amérique du XIXème siècle sans concessions : l’esprit conquérant et destructeur des pionniers et autres colons conduisant à la disparition d’un monde et d’une nature idylliques, et en corrélation le sort réservé aux Indiens et aux esclaves africains. Malgré cette triste réalité, le scénario de Fabien Grolleau s’offre d’heureuses libertés (la rencontre avec Darwin) et fait la part belle à une forme d’onirisme, voire même de mysticisme à travers la figure de Shogan, le tout ponctué d’un moment sublime de poésie à travers  les mots de William Blake. Le trait précis et surtout les couleurs flamboyantes de Jérémie Royer traduisent à merveille la beauté de ce monde révolu, ce qui fait de cette lecture un moment de pur bonheur.

J'ai ressenti quelque chose d'un petit peu paradoxal à la lecture de ce livre : une lenteur alors que sa vie est tumultueuse et faite de nombreux voyages. Le dessin est doux, en contraste avec un auto-sacrifice pour une mission trop lourde.

En compétition pour le titre de livre le plus pompeux ? Il y a un petit côté Marc levy, non ?

J'ai l'impression que l'éloignement ne profite pas à ce bon vieil Eraserhead…

Loin toi même 😜


(Sans rire, sur les ailes du monde..)

Oh que oui !

C'est un titre à la (dé)mesure de l'ambition d'Audubon, Eraserhead !

C'est un livre sublime, sensible, inattendu. Mêlant délicatement l'aventure américaine et l'Art, la folie et l'amour (s'il y a sacrifice, c'est quand même celui - romancé sans doute ? - de l'épouse d'Audubon, qui préfère son mari libre, heureux et loin d'elle, qu'englué dans le quotidien à ses côtés), la barbarie et la délicatesse.
Il y a de belles envolées poétiques et chargées de symboles, dont les pages finales, pleines d'émotions retenues.
Magnifique !

Dans 'Envolées poetiques chargées de symboles, pleines d'émotions retenues' je suis entièrement d'accord sur le chargées et pleines...
L'envol de l'âme à la mort du personnage, on peut effectivement y voir un symbolisme bien chargé.
La scène de fièvre avec le cauchemar, c'est bien peu original aussi.

En tout cas, il y a de bien beaux dessins.

Pas de chance naphtalene!

Après la torture du chat (Breizhskin), voici l'extermination bon enfant de volatiles, bisons et autres bestioles sur près de 170 pages!

C'est cependant un aspect intéressant de l'histoire d'Audubon, une ambivalence surprenante entre fascination et destruction de la nature.
Une vision du rapport à la nature et de la place de l'Homme en ce XIX siècle.
Audubon voit le monde d'une façon biblique, loin des préoccupations de Darwin ; un monde immuable où chacun est à sa place.
L'Homme, bien sûr, se trouvant au plus haut niveau (et encore, pas tous les Hommes).

Audubon a conscience de l'évolution du monde, vers le progrès et vers une civilisation destructrice de la nature,
un monde pour les Hommes souverains et tout-puissants. Ambiguïté entre nostalgie des temps anciens où l'Homme
était en osmose avec la nature (les indiens) et l'inéluctabilité d'une nation grandiose nécessaire.
Il le dit, s'il tue moins de 100 oiseaux par jour, c'est qu'ils sont rares.
Déroutante conception bien loin de l'actuelle politique de sauvegarde des espèces*.
Il ne pense d'ailleurs pas protéger la nature, mais il voit la stricte nécessité de la retranscrire, d'en faire acte de mémoire avant qu'elle ne disparaisse.
Immortaliser cette nature, plutôt que se soucier de sa pérennité.
Toutes ces questions, sur la nature mais aussi sur l'art et la science (et le naturalisme en particulier) ou encore sur la mort (taxidermie, sorcellerie...), sont très intéressantes et sont une toile de fond qui permet à cet aventurier de nous conter ses périples de façon haletante.
Le tout vient côtoyer une relation de couple faite d'amour et de sacrifices, de liberté et d'abnégation.

Un livre riche, au dessin doux et savoureux, pour un parcours hors norme, ambition démesurée d'un Homme voulant marquer l'histoire
par son travail exhaustif de recensement.

Et comme le dit Bienvenu au Capitaine Mulet (dans l'excellent "Capitaine Mulet "de Sophie Guerrive) :
"Capitaine, vous ne cessez de découvrir, laissez-en un peu aux générations futures."
"Que feront-elles dans un monde où out est vu, su et conquis ?"

* l'Homme plein de ressources a su cependant s'adapter à cette évolution, en introduisant par exemple la notion de "nuisibles" sorte de sous-espèces animales
qu'il peut massacrer en toute bonne conscience pour sauvegarder son activité agricole et forestière ou encore son bien-être.

eraserhead a écrit:

La scène de fièvre avec le cauchemar, c'est bien peu original aussi.

L'originalité narrative n'était effectivement pas une ambition de l'auteur.

Mais contrairement à toi, je ne trouve pas que le livre en pâtisse.

Je trouve que ces deux passages (le cauchemar et la mort) donnent une dimension mystique à la vie d'Audubon, et apportent un sens à sa quête démesurée - et en cela, je ne les perçois pas comme en trop ou excessifs.

Un peu comme dans dead Man....

Certaines passions s'expriment par le besoin de fixer, figer, posséder l'objet convoité dans le but de ne jamais le perdre. Etrange paradoxe lorsqu'il s'agit d'êtres vivants aussi libres que les oiseaux ! Compréhensible pourtant, vu l'époque et la pensée (occidentale) sur la place de l'Homme dans la création. La conscience écologique fait pourtant de timides percées, signes de la sensibilité de cet homme passionné.
C'est un bel ouvrage, porté par un dessin doux et précis, et une lecture dense qui donne matière à réflexion sur de multiples sujets.
J'ai trouvé judicieuse l'idée de mettre en relation la réalisation des croquis ( taxidermie ) et la reproduction des planches concernées en fin de livre.
Par contre, je n'ai pas senti de souffle porteur sous mes petites ailes de lectrice. Une seconde lecture s'impose donc.

Une lecture facile malgré des passages d'une originalité déjà vue comme vous l'avait soulignée. En effet, on ne s'emporte pas.

La rencontre avec Darwin est un peu consternante. C'est qui ce gars? Suspense! Darwin, ha je retiendrai votre nom.

Mais cela marche, une belle découverte par le vecteur de la BD.

De plus les sujets abordés sont multiples. Ils nous interpellent sans jugement: les relations libertaires par exemple avec sa femme, le guide indien ou le disciple. Rien est imposé finalement.

Une fin où la réincarnation en aigle souligne la clairvoyance d'Audubon sur la faune et son temps... Mis sur un piédestal végétal pour lui rendre hommage.

Ce fut une lecture très satisfaisante dès la prise en main de l’album : lourd, couverture rigide, papier épais, belles couleurs... Ça participe au plaisir de la lecture.

Le récit est plutôt classique : une biographique chronologique. Dans ce cas, le choix du sujet est déterminant. Avec Audubon, les auteurs en tiennent un bon : un homme passionné (aimant transmettre cette passion pour laquelle il est prêt à de nombreux sacrifices), et suffisamment peu connu pour éveiller la curiosité.

Comme Gagadinorux, le traitement de la chasse est particulièrement intéressant. J'ai trouvé intéressant de le traiter avec une innocence et une naïveté ce sujet que notre XXIème siècle réprouve.

Comme Igor, je ne suis pas certain que la rencontre avec le jeune Darwin apporte beaucoup au développement du récit -d'autant plus que les auteurs précisent qu'il n'est avéré.

Voilà donc, un récit classique, mais que j'ai trouvé fort bien traité pour produire un beau livre.

J'ai aimé ce livre, passionnant de bout en bout, les auteurs réussissent le pari (et il n'était pas simple) de susciter un vif intérêt sur un sujet assez peu ordinaire, l'ornithologie donc, qui plus est à travers un exercice biographique toujours casse gueule.
Ils rendent parfaitement compte (si je m'en remets à la postface et à quelques infos glanés sur le net) de la vie de l'homme tout en s'octroyant quelques libertés scénaristiques qui évitent à la biographie de tomber dans le piège du classicisme ou d'un déroulé linéaire, façon wikipédia. Que ce soit à travers l'épisode du rêve et des cauchemars qui le hantent (très belle astuce pour évoquer la mort de ses filles et de sa mère), des rencontres avec les indiens, la famille d'esclave ou même l'intervention de Darwin, cela permets d'apporter de la profondeur, de l'épaisseur et un peu de réflexion sur les différents thèmes évoqués.
Écologie, aventure, peinture et science, histoire de l'amérique, autant de thématiques sont donc approchées et relatées avec un dosage toujours justes, venant compléter à merveille la vie du bonhomme et ses projets les plus fous.
J'ai aimé aussi le travail sur les relations, la rivalité avec Wilson, le rapport toujours respectueux avec sa dame, la reconnaissance ou non du travail réalisé.
Bref c'est un livre bien fourni et très complet qui nous est offert, une lecture très douce avec un dessin et des couleurs en parfaite adéquation avec le ton et le propos.
Et comme on y parle de cabinet de curiosités, me vient à l'idée ce titre coloré et un brin psychédélique (Taken from the debut album Cabinet Of Curiosities), qui me donne envie de me promener en forêt pour écouter les oiseaux.

Puisque tu inaugures une playlist 'oiseaux' je continue avec le très chouette Birds d'Emiliana Torrini, dans une version live fort sympathique surtout à partir de la 3ème minute...

Je n'ai pas grand chose à rajouter à tout ce qui a été dit. Dans son genre, ce livre est excellent et il me semble que les intentions de l'auteur sont mille fois réalisées. Dessins, histoire avec un brin de fantaisie, un questionnement plutôt pertinent sur certains fonctionnements de la société de l'époque, tout ça fonctionne très bien.
Peut-on raisonnablement en demander plus à une biographie ?

On peut toujours en demander plus, lecteurs avides que nous sommes, mais ici c'est déjà très bien, le mélange fiction et réalité historique étant un des points le plus intéressant de ce livre

Je reste bien plus réservé qu vous sur ce livre qui, s'il me fait découvrir un personnage dont je ne connaissais pas les travaux, me laisse un peu à distance.
Les planches sont évidemment bien jolies mais je trouve le récit plutôt déséquilibré. La dernière partie du livre boucle la vie d'Audubon rapidement, des récitatifs prenant la place des bulles.
A vouloir tout raconter, à faire un livre somme, le rapport à l'écologie est par exemple, peu fouillé.
La rencontre avec Darwin est téléphoné, pas vraiment construite de manière habile, plutôt lourde.
Bref, l'écriture est souvent pataude et le dessin un tantinet esthétisant.
Un peu déçu...