La vision de Bacchus de Jean Dytar

En octobre 1510, Giorgio de Castelfranco, alias Giorgione, un artiste de Venise sur le point de succomber à la peste, semble moins effrayé par l'idée de la mort que par celle de ne plus avoir le temps de tenir la promesse qu'il s'était faite le jour où il décida d'embrasser la carrière de peintre : réussir à reproduire la présence humaine avec autant de ferveur que le tableau qui suscita un jour sa vocation, une peinture d'une telle puissance, que l'espoir de retrouver l'éclat de l'émotion qu'il avait ressentie quand enfant il la découvrit, est le dernier fil qui le retient à la vie.

Ce tableau est l'œuvre d'Antonello de Messine, dont le lecteur va découvrir la destinée vénitienne au cours d'un flash-back de trente-cinq ans qui constitue la partie principale du récit. À peine débarqué dans la Cité des Doges pour y livrer un portrait, Antonello crée la sensation grâce à des méthodes de travail inédites et des productions qui semblent faire la synthèse entre les qualités du primitif flamand et celles de l'école florentine : l'alliage entre la précision des contrastes et l'architecture des volumes — les origines mêmes de cette fameuse présence derrière laquelle Giorgione avait tant couru. Peu à peu, le carnet de commandes de Messine s'épaissit, les dignitaires et les religieux se pressant les uns après les autres à son atelier afin d'y requérir les services de l'artiste en vogue. Mais souvent, être trop aimé garantit l'inimitié…

La particularité de l'approche qu'a Jean Dytar de la bande dessinée, c'est de créer un contexte graphique dans lequel son sujet va pouvoir s'intégrer naturellement, selon un principe de mise en abyme. Il convoque personnages historiques dans un théâtre de papier dont il tire les ficelles, les rendant presque prisonniers de leur propre univers graphique. Dans Le sourire des marionnettes, il s'amusait à mettre en scène un conte oriental réunissant Omar Khayyâm et Hassan ibn Sabbah dans un cadre strict de miniatures persanes. Avec La vision de Bacchus, c'est à la peinture italienne de la Renaissance qu'il s'intéresse. S'inspirant de situations réelles, il a conçu une trame romanesque dont les représentations témoignent de l'inspiration créatrice de l'époque. Il cite l'œuvre en même temps qu'il commente sa gestation, et dispose ses personnages dans un tourbillon temporel qui les intègre aussi bien au sein de leur peinture que dans le sentiment créatif qui en est à l'origine. Du choix de la palette jusqu'à celui de la posture (en passant par celui du titre), Dytar s'amuse à faire à la manière de ceux dont il raconte l'histoire. Il y met beaucoup de passion, et elle est partagée.

Le prétexte est bien fagoté et l'intrigue familiale fonctionne. Mais ce n'est pas là le vrai propos, qui se situe plutôt entre l'hommage et la démonstration. Et aussi la réflexion autour de l'idée de perfection dans la représentation picturale. L'idée d'intensité. Toujours la présence. Et le hasard, les visions, qui parfois précèdent les idées.

La première question, à laquelle Dytar apporte aussi une réponse quand il évoque une époque charnière où l'Histoire de l'art animait les débats, est la suivante : de quoi provient l'émotion ?

L'autre question s'attache aux moyens de la traduire… et de la provoquer.





Le site de Jean Dytar est très pédagogique. Ses inspirations et ses intentions sont décortiquées presque case par case, et toutes les références sont examinées au peigne fin. L'auteur se montre dans son auto-analyse aussi intéressant, fin et pertinent que dans sa bande dessinée.
http://www.jeandytar.com/la-vision-de-bacchus/presentation-2/

Très jolie lecture, plus convaincante pour moi que le premier livre de l'auteur où Dytar empruntait déjà son style à une forme existante (les miniatures persannes). Ici, c'est la peinture itatlienne de la Renaissance qui sera la ligne directrice dont il ne faudra pas trop dévier. Très (trop ?) appliqué, Dytar déroule une intrigue très bien ficelée et prenante. Manque un petit grain de folie (qui conviendrait pourtant bien à l'époque et aux personnages) aux tentatives d'expérimentations formelles qui ne sont pas toujours totalement convaincantes (je pense aux pages s'articulant autour du portrait de la mère de Giorgione par exemple).  En tout cas, la lecture de Dytar et celle de Sekulic se complètent de manière très intéressante ce mois-ci.

Je suis d'accord. Très pédagogique, comme tu le dis, Fred, et pour le site, remarquable, et pour l'album en lui-même. Il y a ces très belles planches sur le vieillissement, à la mise en page très chouette.

Beaucoup de retours en arrière, ce mois-ci, décidément.


PS : et j'ai beaucoup apprécié Le Sourire des Marionnettes. période, Histoire, représentations artistiques, assez lointaines de mes connaissances, et du coup, j'apprends plein de choses avec cet auteur.

Quelle élégance dans ce récit pour faire vivre ce Graal vain de la création parfaite. Le tableau deviendrait l'acteur principal.

Voilà, vous avez déjà tout dit : élégant, pédagogique, documenté. Rien à ajouter (pour une fois   !)

Comme Superphane, Le Sourire des Marionnettes ne m'avait pas convaincu à l'époque.
La vision de Bacchus réussi le joli tour de force de transformer un récit d'apparence romanesque en réflexion plus profonde sur l'art, la peinture, la création et toutes les émotions qui peuvent se dégager d'une œuvre. La belle limpidité du texte et des flash-back renforce la bonne impression et c'est vraiment un livre très réussi que nous tenons là, j'irai presque parler de petit coup de cœur pour moi. Je m'en vais donc de ce pas prolonger ma lecture sur le site de Jean Dytar et vous donne rendez-vous samedi prochain pour la venue de l'auteur à la librairie. Youpi.

Nous y serons !

J'aime beaucoup le travail de Dytar, et sa Vision de Bacchus a été une
très agréable lecture que je qualifierais d'extrêmement bien
équilibrée. Son dessin a ça de virtuosité qu'il semble si facile, si
pur, si juste, et s'allie parfaitement à ses qualités de narrateur.
On comprend ses personnages et leur intentions, bien sur on plonge
dans l'intrigue, mais au-delà les débats que l'auteur souhaite
soulever apparaissent avec clarté et pertinence. Dytar sait
devellopper ses idées autant que ses interrogations et nous mène sur
les chemins de ses questionnements artistiques et intellectuels.

Pourquoi suis-je malgré ces éloges restée aussi bien assise dans mon
fauteuil à sa lecture. Je fais écho à Fred et Superphane. Peut-être
que le propos de notre auteur, comme son dessin sont trop maitrisé?
Peut-être rate-il ce qu'il y a de magique dans le processus de
création qui constitue pourtant la recherche de ces personnages... Ou
alors peut-être qu'il nous fait découvrir justement que ce processus
ne peut pas être maitrisé même avec toute la meilleure volonté du
monde, qu'il appartient malgré nos interrogations à un champs
mystérieux et inaccessible...

Et oui, c'est ficelé comme un bonne série télévisée.

J'ai beaucoup aimé ce livre pour diverses raisons :
le dessin qui met magnifiquement en valeur cette histoire
le scénario qui est bien mené du début à la fin
les couleurs qui sont au service du dessin
le sujet traité et cette période de l'Histoire.
Bref, un livre qui est l'un de mes favoris pour le shériff.

Igor13 a écrit:

Et oui, c'est ficelé comme un bonne série télévisée.

Le jour où la "télé" saura montrer autant d'intelligence, il n'y aura plus grand monde pour la regarder.
Je précise, je trouve que la télévision, telle qu'elle est généralement produite aujourd'hui est un média pour les cons. Même si personnellement, de temps en temps, j'aime bien être con, il y a quand même quelques exceptions.

Pour être plus sérieux, on peut dire que le livre de Jean Dytar est une petit chef d’œuvre de pédagogie. A la fois très agréable à lire et parfaitement instructif sur son sujet. J'ai beaucoup aimé ce livre alors que je ne connais rien à l'art de cette époque et, je dois bien l'admettre, ça ne m'intéresse pas plus que ça. Ainsi, je me suis surpris à avoir envie de voir, pour de vrai, certaines œuvres de ces peintres vénitiens dont j'ignorais jusqu'à l'existence.
Bref, un très grand plaisir de lecture grâce à ce très beau dessin aux couleurs chaudes.
Je pense qu'on ne peut jamais savoir d'où viennent toutes les influences qu'un auteur peut avoir, mais on a ici un bel hommage de la Bande Dessinée à ces maitres de la peinture.
Même si je ne l'ai pas encore parcouru entièrement, une visite sur le site de l'auteur permet de poursuivre la lecture en l'approfondissant de manière très agréable aussi.

Une rencontre aujourd'hui vraiment très riche avec le sympathique Jean et de nouveaux éclairages hautement intéressants sur la conception de ce livre . Pour ceux qui comme moi en doutait, Jean Dytar a bien redessiné les œuvres d'époque, c'est assez incroyable la justesse de reproduction et le soin apporté pour certaines d'entre elles qui ont même disparus.
Merci à lui et à la librairie pour cette visite, des échanges qui compteront pour moi dans le choix du mois.

Coup double pour moi aujourd'hui !
Accompagné par eraserhead, j'ai gouté aux plaisirs des vins et de la bande-dessinée !
Jean Dytar, c'était bien...
Encore mieux après un petit passage au petit bercy où le maître des lieux, accompagnés de joyeux buveurs de vins vieux, nous a fait déguster un saint-Estephe (mouais), un porto vintage (très bon), un haute cote de beaune blanc (fameux), un banyuls (un peu lourd), et enfin une genièvre de Houlle carte noire (une vraie découverte !) qui m' a mis en joie... C'est quand, la prochaine rencontre des ignorants ?

oui, une super après-midi !
Merci Esprit-bd, merci Jean Dytar !!

et cette genièvre avait vraiment quelque chose d'euphorisant... très étonnant.

Je n'ai pas pu être des vôtres hier, dommage j'aurai bien aimé rencontrer Jean Dytar.
Parce que :
1) selon les post ce fut une belle rencontre
2) j'ai beaucoup aimé La vision de Bacchus
3) ce sont toujours de bons moments avec des membres du jury et nos libraires  

Le récit est très réussi, Dytar nous plonge dans cette époque et cet univers. Les personnages sont bien développés.
Les dessins et les couleurs accompagnent, enrichissent la narration.

Un très beau livre!

Comme beaucoup d'entre vous, j'ai trouvé la lecture très agréable. Je serai en particulier d'accord avec Eva qui met en avant le dessin, le scénario, les couleurs et sujet.

Mais, et ce n'est pas propre à ce seul livre, je commence à perdre de l'intérêt pour la foule de biographie qui sortent. J'ai encore du mal à m'expliquer complètement pourquoi... Peut-être est-ce parce que je passe mon temps à me demander qu'elle est la part de réalité et quelle est la part romancée. Ou peut-être est-ce parce que j'ai du mal à voir, au delà de l'intérêt documentaire, le propos pour aujourd'hui. Plus que livre en particulier, c'est le genre biographique qui me laisse sur ma faim.

Très belle rencontre que ce samedi.
Non content de nous immerger dans cette période de la peinture italienne, J Dytar souhaite emmener au musée ceux qui n'oseraient y aller et les mettre à l'aise devant les toiles (ce sont ses propos).
Il a le talent, la générosité, la culture. Et tout cela est suffisamment bien fondu pour se faire oublier à la lecture.
Bravo.

Charles Olivier a écrit:

Non content de nous immerger dans cette période de la peinture italienne, J Dytar souhaite emmener au musée ceux qui n'oseraient y aller et les mettre à l'aise devant les toiles (ce sont ses propos).

Eh bien je pense qu'il y parvient.