Un papier peint vert sur lequel sont accrochés des tableaux , dans ces tableaux des scènes issues de ces mêmes albums , au premier plan , un personnage héros de sa propre histoire , mais si c'était finalement leurs ombres qui jouaient les premiers rôles ?
L'abime est un gouffre infini et vertigineux , dans le monde des arts , la mise en abymes est un principe visant à intégrer une œuvre dans une œuvre du même type , la boite de La vache qui rit en est le plus illustre exemple , de mise en abyme je précise. Dans le monde de la bande dessinée , le procédé a été maintes fois utilisé , on pourra citer Johnny jungle dans l'ordre de nos dernières lectures , Tintin pour les références les plus marquantes , ou encore Denis Bajram (dessinateur ici du troisième tome) dont la maîtrise de la technique dans Universal War 1 reste encore aujourd’hui comme une des plus belles réussites en la matière. Sa compagne dans la vie , Valérie Mangin s'attaque logiquement à l’exercice dans cette trilogie même si je préfère parler de triptyque tant chaque histoire se lit de façon autonome mais dont les échos et les résonances rendent l'ensemble purement indissociable.
La première histoire est celle de l'écrivain Balzac , nous sommes en 1831 et il découvre avec stupéfaction que son roman 'La peau de chagrin' a été remplacé dans la revue de Paris par un autre feuilleton relatant sa propre vie. Si au départ , il prend cette biographie comme un hommage , une reconnaissance , il va très vite déchanter constatant avec effroi que l'auteur anonyme va raconter les pans les plus mystérieux et enfouis de son existence , il doit alors tout mettre en œuvre pour faire taire celui qui dévoile sa vie sur la place publique.
La vie du romancier , il en est encore question dans le second tome , mais cette fois au cinéma. Nous sommes en 1946 et le producteur Barrant-Rondeau vient présenter au public le film "Le mystère Balzac" , réalisé par le cinéaste Henri-Georges Clouzot dont la controverse anime l'opinion public pour son rôle joué dans la seconde guerre mondiale.
Les premiers rushes du film , où il découvre des scènes nuisant à la réputation de ces comédiens Suzy Delair et Bernard Blier , scène qu'il déclare n'avoir jamais réalisé , continueront d'alimenter le mystère autour du personnage.
Enfin Balzac , on le retrouve en 1993 , la vie de notre héros est cette fois repris en bande dessinée dont la jeune étudiante Valérie Mangin découvre un exemplaire dans les bacs d'occasion d'une librairie parisienne. Jusque là rien d'extraordinaire , si ce n'est que Valérie tient dans les mains un tome paru vingt ans plus tar chez Aire libre et écrit par sa parfaite homonyme. C'est cette troublante histoire qui va guider sa thèse et la conduire sur les chemins du monde du neuvième art et la route du jeune dessinateur Denis Bajram...
Vous l'aurez compris à travers ces brefs résumés , Abymes nous raconte avant tout le destin de trois personnages qui se retrouvent héros de leur propre histoire , héros mais surtout prisonnier d'un scénario qui leur échappe , qui en tire les ficelles , comment ne pas sombrer dans l'abime et dans un tourbillon dont il ne maîtrise plus rien ?
Après une délicieuse mise en bouche parfaitement mise en image par Griffo qui semble cette fois ne pas avoir négligé le projet qu'on lui proposait , la tension retombe dans un second tome qui disons le , est le plus faible des trois.
Le dessin de Malnati faussement réaliste peine à supporter le poids du scénario mis en place.
Heureusement le dernier chapitre emporte cette légère déception , je le qualifierai même d’exceptionnel tant la complicité entre la scénariste et le dessinateur est évidente , dessin et histoire se complète à merveille , on imagine facilement que le talent de Denis Bajram bonifie l'ensemble tant au niveau de l'écriture , que du rythme.
Le couple joue la transparence , sans verser dans un excès de nombrilisme , ils nous dévoilent les moments les plus forts de leur vie personnelle , c'est souvent confondant et on ne sait plus trop la part de réel et de fictif.
Des clins d’œils au monde du neuvième art en passant par les références artistiques , ajoutez à cela une pincée de science fiction , les deux auteurs explorent une fois de plus les possibilités offertes par le médium BD sur les jeux de miroirs et comment ils peuvent s'inscrire dans un espace temps illimité , le traitement infographique de Bajram fait parfaitement écho à tout cela et rend cohérent de bout en bout le thème central du livre.