Cette année, on s'est décidé un peu au dernier moment. Il y avait bien l'idée de refaire la traversée du Massif Central en vtt, mais peu nombreux étaient les candidats pour rouler une semaine entière. Alors on s'est retranché sur une virée de quatre jours sur route, un format qui convient bien à tout le monde. Et comme l'idée du Massif Central nous tenait à cœur, on a dit banco !
Philippe, Didou et moi, on rempile, fidèles au poste. S'adjoint à nous Stef le boulanger, notre nouveau pote pour qui ce type de rando semble être du pain béni. Plusieurs jours avant le départ, il nous confiait son impatience d'y être. Jean-Mi ne pouvait pas nous accompagner cette année, mais quelque chose me dit que ce sera tout bon pour la virée de 2012 !
Je me suis occupé de tracer le parcours, une boucle de huit cents kilomètres à travers nos montagnes et celles qui les touchent, un peu plus loin au sud. Cent soixante-dix bornes à avaler chaque jour avec un dénivelé positif de deux mille cinq cents mètres. Les réservations ont été prises dans les gîtes et hôtels des villes-étape. La météo est plutôt encourageante. Reste à pédaler…
Lundi 8 août
Première étape : Issoire - Saint-Germain-du-TeilMême si le soleil est de la partie, il fait frais au départ. Le gilet et les manchettes ne sont pas un luxe. Chacun part de chez lui et retrouve l'autre au fur et à mesure de son avancée.
Premier point de rendez-vous, le pont du Saut-du-Loup. Philippe et Stef sont en retard, je me dis que ça commence moyen. Rien de grave, juste quelques minutes, mais qui attestent que, comme je le craignais un peu, Philippe se ressent des efforts consentis l'avant-veille à
la Pierre Chany, une épreuve cyclosportive disputée autour de Langeac. Mais on connaît notre Phil, on sait que son courage compensera toujours le manque de fraîcheur !
On passe prendre Didou chez lui, qui nous remet les pâtes d'amande spécialement fabriquées par Stef. Les sacs-à-dos pèsent plus ou moins cinq kilos. Nous nous sommes partagés le nécessaire de réparation, histoire de ne pas partir avec quatre dérive-chaîne, quatre pompes, quatre tubes de colle à rustines, etc.
Cette étape, je l'ai déjà faite à trois reprises. Enfin, les fois précédentes, c'était pour aller à Mende. Là, il faudra tirer plus à droite en fin d'étape pour rejoindre Marvejols. On va traverser la Margeride et l'Aubrac par des petites routes plutôt bien goudronnées et vallonnées.
Pour l'heure, plus on s'élève vers le plateau de La Chapelle Laurent, plus le vent souffle, de façon défavorable. Mais une fois dans la forêt au-dessus de Ruynes, on est protégé.
Descente sur le Garabit et on déjeune à Faverolles.
Petite incompréhension dans le bar-restaurant où la serveuse ne s'occupe pas de nous. Ce qu'on prend dans un premier temps pour du mépris n'était finalement que de la gentillesse et de l'hospitalité. Elle pensait que nous venions avec notre manger et nous offrait une place sans autre exigence. Mais on a faim ! Et la paupiette-coquillettes passera très bien.
Saint-Chély-d'Apcher, Aumont-Aubrac, Javols, le vent est moins gênant maintenant. Et notre progression se fait tranquillement, par à-coups, tributaire des pauses pipi que Phil et Stef, nos "pistolets à eau" rebaptisés plus tard "pistoleros", nous imposent ! Au Roc de Peyre, ça doit être à peu près le dixième arrêt !
Une toute petite route de campagne (qui n'aurait pas plu de tout à Cancellara qui a traité les routes du Cantal de "routes pour paysans"), on dira un chemin goudronné, nous amène au haut-lieu de la journée, les gorges de l'Enfer, serpentant au sein du parc à loups du Gévaudan. Pour accompagner la magie de l'instant, le soleil sort de sa cachette.
La route est mauvaise et étroite le long des gorges, le croisement avec les autos est parfois dangereux mais c'est sans encombre que nous gagnons Marvejols dont un bar abrite apparemment toute une tribu de cyclistes qui nous saluent.
Déjà cent cinquante bornes que l'on roule et, bien entendu, les meilleures journées se terminent par une ascension. Ce sera celle du col de Trébatut, Phil s'en rappelle encore !
Erreur de ma part : je pense trouver une coupante à mi-col, mais, renseignement pris auprès d'un autochtone c'est un cul de sac. Tant pis, on rebroussera chemin et grimpera jusqu'au sommet avant de plonger sur Saint-Germain-du-Teil et son gîte en centre-village, terme de notre étape. L'accueil y est convivial, la table abondante, et Philippe reprendra deux fois de la tête de lapin.
177 km, 23,6 de moyenne, 2650 D+
Mardi 9 août
Deuxième étape : Saint-Germain-du-Teil - BanassacCette étape constitue une double boucle. D'une part parce qu'elle nous ramène quasiment à notre point de départ. D'autre part parce qu'elle intègre un Meyrueis - Meyrueis transitant par le mont Aigoual.
La bonne nouvelle, c'est que nous serons du coup débarrassés de nos sacs. Eh oui, seulement dix petits kilomètres de descente séparent Saint-Germain de Banassac (La Canourgue). Il nous suffit donc de trouver l'hôtel où deux chambres ont été réservées pour la nuit et de confier les ballots au gérant. On se sent plus léger et un grand soleil nous fait oublier la fraîcheur du matin. Ce sera une belle journée. On garde quand même en poche nos gilets et manchettes, qui nous serons bien utiles plus tard, au sommet de l'Aigoual.
Première côte et première attraction, le Sabot de Malpeyre :
Ça vallonne ensuite sur le Causse des Sauveterre alors que le vent s'est levé mais ne nous est pas encore défavorable. Puis on descend vers La Malène et les gorges du Tarn. Et bien sûr, vu d'en bas ou d'en haut, le site est exceptionnel.
Pour s'extraire du canyon, la pente est raide (10% de moyenne sur cinq bornes) et la route est pourrie. Mais les jambes et la tête répondent présents, c'est du plaisir brut ! On débouche sur le Causse Méjean qu'on traversera allègrement avant de gagner Meyrueis où l'on compte bien se remplir l'estomac. C'est un village touristique et les gargotes ne manquent pas. J'essaie de voir si une femme du coin que je connais ne fait pas la saison cette année dans un des restos où elle a travaillé un temps, mais non. Par contre, la patronne d'une boutique me hèle vigoureusement, à tel point que les autres pensent qu'il s'agit de cette connaissance. "Hello !"
me fait-elle, à peine ai-je la pédale droite déclipsée, "bonjour, bonjour !". Qu'est-ce qu'elle me veut ? Le temps de me pincer tellement je n'en reviens pas de cette méthode qu'elle est déjà allée chercher les menus. "On file, les gars !" je dis sans que les autres ne comprennent quoi que ce soit "faut pas rester là !". En fait, elle nous met le grappin dessus façon Saint-Denis, c'est plutôt désagréable, et un peu plus loin, j'explique aux potes que je ne connais pas du tout cette femme, ce qu'ils ont du mal à croire. On en est quitte pour des sandwiches, et ce n'est vraiment pas plus mal !
Le ciel s'est couvert et Philippe claque des dents. T'inquiète, mon Philou, on va bientôt se réchauffer. Vingt-sept kilomètres jusqu'au sommet de l'Aigoual en passant par le sud, la partie la plus difficile se situant juste à la sortie de Meyrueis. Après, c'est souvent du faux plat et, vent aidant, ça montera tout le long sur le grand plateau. Mais avant de quitter le village, un sympathique "good bye !" s'impose en passant devant la boutique de l'aguicheuse !
L'abîme de Bramabiau :
Et le paysage :
Les sept derniers kilomètres, du col de le Serreyrède jusqu'en haut s'avalent à grand train, autour de vingt-deux, vingt-quatre km/h, et c'est un vent de fou qui nous souhaite la bienvenue à l'observatoire. Un vent qu'on aura dans le nez pour tout le retour.
Les gorges de la Jonte, les gorges du Tarn, des points de vue terribles mais des routes malheureusement très fréquentées qui nous obligent à rester en file. Avec ce qui souffle, ce n'est pas plus mal… Ça n'empêche pas qu'un étourdi engage sa voiture sur la route juste avant notre passage. Vous nous connaissez, on gueule comme des putois. Du coup le gars pile. Alors là, bien sûr, on lui passe une charge en bonne et due forme. Mais on constate que l'homme, d'un certain âge, a eu peur et sa réaction a été de freiner. Oui, je sais, drôle de réflexe, mais bon, on en voit tellement sur la route que plus rien ne m'étonne. Toujours est-il que le gars n'est pas fier et en nous dépassant un plus loin, sa femme s'excuse platement.
Les relais fonctionnent bien en direction des Vignes. Je m'aperçois depuis quelques tours qu'un cycliste se planque bien dans nos roues mais ne participe pas, aussi l'invité-je à prendre le relais. Il obtempère mais à sa façon : il double tout le monde et envoie une allure à 38 km/h. Stef, ça ne lui plait pas beaucoup, alors il passe à 45 ! Grosse bourre pendant un moment, mais ça ralentit et je peux discuter un peu avec notre nouvel ami qui me dit être de Séverac et faire la saison d'hiver à Tignes. Aux Vignes, on se sépare, et je le vois prendre la côte sur la route du Massegros que l'on a prévu de suivre également. Mais nous, on souffle cinq minutes en avalant une pâte d'amande de chez La Boulange. Et c'est parti. Grosse montée, doux bitume, je me sens hyper bien et j'ai envie me donner pleinement sur cette ascension à gros pourcentages ; ça roule, ça roule de lacet en lacet et ce n'est pas l'échappement enfumé d'une vieille BX qui m'empêchera de continuer. À cinq cents mètres du sommet, j'aperçois mon ami de Séverac en point de mire, qui tourne beaucoup les jambes mais sur un tout petit braquet. Je crois l'avoir surpris en arrivant à sa hauteur. On échange quelques mots, et pour les trois cents mètres qu'il reste avant le sommet, je descends plusieurs dents et accélère.
Le reste se fera en faux plat descendant, toujours vent de face. Et la bière, comme d'habitude, sera bien bonne !
181 km, 25,3 de moyenne, 2850 D+
Mercredi 10 août
Troisième étape : Banassac - AurillacEncore une fois très frais au petit matin. À tel point que Philippe a enfilé les jambières et les moufles. Non, pas les moufles, mais presque, si bien que lorsque la chaleur arrive enfin grâce au soleil resplendissant, le voilà parti pour une grande séance d'essayage :
Les routes de l'Aveyron de l'est sont plutôt monotones, malgré quelques châteaux et le Trou de Bozouls ! Et on a retrouvé nos sacs-à-dos…
C'est en fin de matinée que la beauté de la terre et de la pierre rouge apparaît enfin. Les maisons sont très typées, les routes ombragées et vallonnées ; le vent est quasiment absent et l'altitude tombe, tombe, tombe, jusqu'à deux cent cinquante mètres. Du reste, les cent premiers kilomètres du jour ont été effectués sur le grand plateau.
Nous voilà à Conques, superbe village aveyronnais posé à flanc de colline.
Depuis qu'elle a appris le tracé de notre périple, une amie de ma mère qui habite quelques mois de l'année ici, nous a invités à déjeuner le jour de notre passage. Et ça tombe bien puisqu'il est treize heures ! Le temps de passer au village acheter du vin et prendre quelques photos, et on se met en quête de la route qui conduit chez nos gentils hôtes. Il faut d'abord trouver le pont romain qui franchit le Dourdou. On tâtonne un peu, on tourne en rond pour finalement se rendre compte que le fameux pont romain est un vrai vestige pavé de pierres disposées en strate et les véhicules larges de moins de deux mètres sont autorisés à s'y engager. C'est donc ce monument qu'il faut franchir pour grimper la route d'en face qui conduit chez Joseph, le compagnon de Geneviève (l'amie de ma maman) et plus heureux des hommes à occuper sa retraite à l'entretien de sa belle propriété.
Bien évidemment, la route étroite monte sec sur plusieurs centaines de mètres avant la maison, de quoi nous mettre en appétit. Joseph nous racontera plus tard qu'un jour, un bus ayant fait fi des panneaux indicateurs était descendu jusqu'au pont romain et que devant l'impossibilité de faire demi-tour, il avait du tout remonter en marche arrière et à grand renfort de gendarmes !
En face de Conques, le point de vue est remarquable :
Quel accueil ! La visite de la propriété est un grand plaisir et le repas magistral. Merci Joseph et Geneviève !
Il nous reste une soixantaine de bornes jusqu'à Aurillac. L'histoire démontrera que ce ne seront pas les plus faciles. Il faut remonter sur les plateaux du Cantal sud juchés entre six et sept cents mètres d'altitude. Donc une longue côte jusqu'à Cassaniouze, au-dessus des gorges de l'Auze, peu difficile, ce qui nous permet de déconner durant l'ascension. Après, on rigolera moins avec une succession de descentes et coups-de-cul, Cantal Cantal !
Ça commence à la sortie de Clavinet avec un mur. Et ça n'en finit plus de vallonner jusqu'à la fin. La moyenne en prend un sacré coup mais l'essentiel reste la cohésion du groupe et la beauté des paysages sous le soleil. On trouvera l'hôtel en fin de soirée et un restaurant routier pour se sustenter.
156 kilomètres, 24,3 de moyenne et 1850 D+
Mercredi 10 août
Quatrième étape : Aurillac - IssoireÇa y est, c'est l'été, avec une température de saison. Et déjà le dernier jour pour nous…
Dans la salle de petit-déjeuner de l'hôtel, BFM nous apprend à tue-tête que c'est une nouvelle crise bancaire qui s'installe dans le monde moderne. Sinon la France et le Chili ont fait un partout en match amical. Loin de ces considérations, nous enfourchons nos montures pour la route des crêtes qui surplombe la vallée de la Jordanne en direction du massif des Puys. C'est à Saint-Simon que nous y grimpons, empruntant une courte montée mais aux forts pourcentages.
La petite route est splendide, la vue incomparable.
Et puis on prend un peu le chemin des écoliers, histoire d'en profiter un maximum avant de rentrer à la maison. Col de Bruel, col de Legal, col de Saint-Georges. Rien de très difficile et une joie constante dans les mirettes, dans le souffle et dans les jambes.
Parfois, le destin d'une sortie (comme le destin tout court) se joue à peu de choses et c'est un réflexe que je qualifierais de vététiste qui viendra me sauver dans la descente vers Salers, après le col de Saint-Georges (et non pas un miracle comme le dira Philippe).
C'est la pénombre sous les arbres et les lunettes de soleil m'empêchent d'apprécier la régularité du revêtement de cette petite route de montagne. Didou et Stef sont devant moi et, dans un virage assez large sur la gauche, je ne vois pas le sable et le gravier qui recouvrent le goudron. Je fais pencher sur la gauche et ma roue avant se dérobe mais je parviens en une fraction de seconde à retrouver de l'adhérence grâce à un geste rapide et brutal dans le sens inverse de celui de la glissade. Je pense que je dois la réussite de l'opération au fait d'avoir eu les mains en bas du cintre, et non pas sur les cocottes de freins. Cette position m'a offert plus de stabilité dans la conduite du vélo, c'est d'ailleurs pourquoi elle est recommandée dans toutes les écoles de cyclisme. Si je peux me permettre un conseil, mettez les mains en bas du guidon dans les descentes, toutes les descentes…
Je me remets de cette frayeur dans le bas, à allure piano piano et en racontant l'anecdote aux deux de devant, Philippe ayant été, lui, aux premières loges. Je dis à ce dernier qu'il aurait quand même pu prendre la photo !
Après, c'est de la côte avec l'enchaînement de deux cols, celui de Néronne par Saint-Paul-de-Salers (la route du bas), très agréable, d'une beauté sauvage, et ce Pas-de-Peyrol qui nous fait toujours et à chaque fois très peur avec ces treize pour cent de moyenne sur deux kilomètres.
Avec les sacs qui ne nous allègent pas, la difficulté est accrue. Cette montée me donne toujours l'envie d'arrêter le vélo ! À cent mètres du sommet, Stef accélère et on se tire une bourre pas possible jusqu'au panneau. Les pignons tombent un à un, vingt-quatre, vingt-et-un, dix-neuf, dix-sept, les touristes (en grand nombre) s'écartent pour nous laisser le passage, les clients du bar retiennent leur souffle, c'est la grande attraction du midi. On passe le sommet ensemble, le cœur dans le rouge, et la fontaine est la bienvenue pour nous tremper dedans !
Pause casse-croûte un peu plus bas, à La Vigerie, où le taulier nous raconte des anecdotes vécues pendant l'enfer de l'étape du Tour cyclo ; des Écossais commandant du café avec beaucoup beaucoup de whisky ; des gars complètement lessivés, etc. Il y avait deux degrés chez lui ce matin-là…
Les routes qui conduisent au Puy Marie, on les connaît par cœur, c'est une de nos destinations privilégiées. On choisit de rentrer par l'itinéraire le plus court, Landeyrat, Marcenat, le Mont Chamaroux où nous prenons la dernière photo de groupe :
Le vent nous pousse dans la descente et après Ardes, dans le replat, on se met dans l'aspiration des bagnoles et les relais se font entre cinquante et soixante km/h ! Une bonne partie de rigolade. Si on voulait aller vite, c'est à cause de l'appel de la bière, qui coulera à flots à une terrasse de Saint-Germain. On ne voulait pas se séparer sans arroser la balade (qui elle nous a épargné la moindre goutte… de pluie).
174,4 kilomètres à 24,4 de moyenne, 2650 D+
Pour voir l'intégralité de mes photos, voici un lien qui va bien :
https://picasaweb.google.com/104740469676274470738/TourDuMassifCentral2011?authkey=Gv1sRgCPWzttr39q2U2gE Et, selon la formule consacrée, à bientôt pour de nouvelles aventures !