Monsieur désire ?, de Hubert et V. Augustin

Dans l’Angleterre victorienne, Lisbeth, une domestique au physique ingrat, entre au service de Lord Edouard, dandy riche, suffisant, provocateur et dévergondé.

Au retour d’une nuit de débauche, alors que les autres domestiques sont sortis pour fêter le mariage de la reine Victoria, Lisbeth est seule pour soigner les excès de son maître. Touché par le regard innocent et sans jugement que porte sur lui la jeune femme, Edouard soumet à toute la maisonnée son nouveau caprice : désormais, c’est la petite bonne qui prendra soin de lui au retour de ses sorties de stupre.


Peu à peu, Edouard prend plaisir à tester la patience et la compassion de sa jeune domestique, en lui narrant en détails toutes ses frasques sexuelles et tous les fantasmes morbides qui les accompagnent. Car le Lord est triste et seul, derrière ses airs arrogants et désabusés.
Mais le bon cœur de Lisbeth pourrait-il supporter longtemps ces confidences, ainsi que les méchancetés répétées de la gouvernante et du maître d’hôtel, jaloux de cette complicité inconvenante ?


Un tel scénario pourrait facilement se conclure par une « happy-end » à l’eau de rose, digne d’un livre de Barbara Cartland : le beau Lord, désabusé mais en fait malheureux, qui trouve le vrai bonheur auprès de la petite bonne, laide, mais aimante et fidèle.

Au contraire, la réussite de « Monsieur désire » tient à l’originalité des choix narratifs d’Hubert, à commencer par les passages crus de la vie nocturne d’Edouard, qui en font un « sex-addict » avant l’heure. Le livre décortique brillamment la cruauté des rapports de domination homme-femme et maître-serviteur dans la bonne société anglaise du XIXème siècle. Il utilise plus laborieusement des explications psychanalytiques pour justifier le comportement outrancier d’Edouard (ce pauvre grand garçon, si méchant, avait en fait besoin d’un gros câlin de sa maman…).


Les traits fins et subtils de Virginie Augustin portent très bien l’histoire, notamment dans les échanges de regard. Il existe une version noir et blanc qui met plus en valeur cette histoire bien menée.

Merci Feufollet, tu nous sauves une fois de plus ... je ne sais trop quoi dire concernant cette bd, si ce n'est qu'elle me parait paradoxalement un peu trop sage; c'est bien mené, bien dessiné, mais voila je n'arrive pas à en tirer autre chose que ce simple constat, tout cela me semble trop cadré, dans une époque, un contexte ...

C'est vrai, Manue : une bonne lecture, un bon moment, une histoire et un dessin de qualité. Mais on ne trouvera pas notre Sheriff ici.
Hubert nous offre toujours des livres de belle qualité - Miss Pas touche, Beauté, Les Ogres-Dieux, Ma vie posthume pour les BD qui m'ont beaucoup plu et que je relis avec plaisir - mais ce n'est pas vraiment ce qui est recherché dans l'aventure du Sheriff.

Je ne connais pas ses autres livres mais en ce qui concerne celui-là , il aurait peut-être mérité une résonance contemporaine, un lien, car on se sent à distance de ses problématiques , c'est une élégante plongée historique mais trop lointaine à mon sens .

Pourtant il y avait du potentiel, avec le personnage de Lisbeth - mais il n'est peut-être pas assez approfondi. On passe beaucoup de temps sur les épanchements égocentriques d'Edouard et Lisbeth demeure un mystère. Clairvoyante et modeste, sage (au sens philosophique) et réaliste, pleine de compassion pour la souffrance des autres mais presque insensible à celle qui la frappe - on a finalement du mal à croire à ce personnage aux vertus quasi bouddhiques... Même Jane Eyre avait du mal à réfréner ses désirs !

feufollet a écrit:

Lisbeth demeure un mystère. Clairvoyante et modeste, sage (au sens philosophique) et réaliste, pleine de compassion pour la souffrance des autres mais presque insensible à celle qui la frappe - on a finalement du mal à croire à ce personnage aux vertus quasi bouddhiques...

Tout le charme du récit vient de là, de son mystère, de sa liberté. Car oui, Lisbeth est avant tout libre.
Sa vie, sa vraie nature, c'est ce qu'elle décide à la fin de l'album, le reste semble la traverser, comme si tout cela n'était finalement que les problèmes des autres, incapables de l'atteindre et la préservant de toute haine et humiliation. Un détachement lui donnant une force considérable.

Vos remarques sont tout à fait justes, je lisais hier soir cette interview   http://www.bodoi.info/monsieur-desire-est-un-livre-pro-feministe/,  sur la question du féminisme mais aussi de la résonance contemporaine, toujours intéressant d'avoir le point de vue des auteurs ...

Super lecture pour ma part Jane Eyre version trash... j'adore la toute dernière image ! Pour ma part j'ai trouvé le portrait de Lisbeth tout en finesse : femme ingénue, tentée, victime, compatissante, mais toujours droite dans ses bottes et si forte ! un bien beau portrait. Malgré le récit détaillé de ses escapades lubrico-belliqueuses, le Rochester de service paraît bien pâle et misérable à côté...

C'est le livre que j'ai préféré lire ce mois-ci : ces deux mondes paralelles qui se croisent quand même saisis par un trait vif et délicat. Un nectar.

J'attendais que le croisement des deux mondes soit plus approfondi, le personnage de Lisbeth reste bien discret par rapport aux nombreuses cases que les auteurs accordent à Edouard et ses déboires passés et présents. Je pense que la construction devait passer par là pour bien marquer la relation de domination, néanmoins avec un final plus orienté vers la servante, j'espérais voir ce personnage se révéler, peut-être dans une suite, Madame l'insoumise .
Toujours beaucoup de finesse dans les mots de Hubert, dommage que la mise en couleur écrase le dessin.

HUbert a-t-il lu Ma vie Secrète, chef d'oeuvre de la littérature érotique et roman autobiographique (d'un anonyme presque identifié aujourd'hui !) décrit "méticuleusement" les frasques sexuelles d'un lord dans l’Angleterre victorienne ??? C'est à croire à la lecture de Monsieur Désire...
Je vous engage, si vous mettez la main sur ce pavé en 11 tomes (regroupés par 2 dans l'édition française) à vous jeter dessus derechef. C'est une expérience proprement incroyable !
http://www.editions-stock.fr/ma-vie-secrete-9782234025097
La bd est certes un peu terne mais je trouve qu'Hubert garde les qualités narratives qu'on a déjà vues dans Bestiole ou Miss pas touche.
Le dessin est effectivement très beau.

J'ai vraiment aimé cette lecture. J'ai aimé observer la fascination qui se développe chez Lord pour cette femme que rien semble choquer alors que lui-même n'aime pas sa ce qu'il fait. Alors qu'il cherche à faire le vide autour de lui, elle, rien ne semble l'atteindre. Il rentre alors dans une surenchère démonstrative dans le but de provoquer une réaction de rejet, sans succès. J'y ai reconnu une description que certains peuvent avoir avec un écoutant (professionnel ou non), un mécanisme universel ici mis en scène de façon fort habile.