C'est pas toi le monde ! par Raphaël Geffray

On dira ce qu'on voudra, mais chez Futuro, difficile d'être déçu par le graphisme et la qualité de l'édition du papier. Voici donc un très bel objet : un style graphique assumé  ( que j'ai trouvé fort élégant ), des personnages aux visages Burtoniens, pour illustrer une histoire sur le thème de l'échec scolaire, ou tout du moins d'un enfant en difficulté d'apprentissage et en manque absolu de repères.

L'enfant en question s'appelle Bené ; pour situer le cadre familial, papa absent du décor, jeune et jolie maman plutôt copine, qui pend sa douche en chantant pendant qu'il lave son bol de petit déjeuner ( " mais... tire pas de l'eau pendant que je prends ma douche, putain !" ), et qui vérifie, sur le pas de la porte : "tu t'es parfumé ?"

Bené intègre en cours d'année ( c'est carnaval ) l'Ecole des couleurs, précédé par sa réputation d'"élève très violent". Dernière chance avant le foyer... La directrice, un peu perchée, lui confirme : c'est le moment parfait pour un nouveau départ. Mais Bené, à huit ans passé, ne sait ni lire ni écrire, et encore moins contrôler ses accès de violence. Une forte tête, donc, qui va trouver du répondant chez son institutrice Valentine, elle-même dotée d'un caractère affirmé. Valentine pose fermement les bases du cadre qui manque à Bené, et petit à petit celui-ci y trouve sa place, puis s'ouvre aux autres, non sans difficultés.

Je suis sortie plutôt perturbée de cette lecture, très riche visuellement. Et je suis curieuse de savoir ce que pensent nos profs de la peinture du milieu enseignant.
Sur le traitement graphique, j'ai adoré les clairs-obscurs, les gribouillis confus, l’allègement de teinte pendant les périodes d'insouciance avec les copains.
L'auteur nous rend tellement proches de cet enfant, dans son agressivité, la confusion qui l'entoure parfois et jusque dans ses cauchemars, fait que la fin prend un goût bien amer. Les petits Bené, il faudrait ne jamais les lâcher.

naphtalene a écrit:

On dira ce qu'on voudra, mais chez Futuro, difficile d'être déçu [...] et la qualité de l'édition.

Alors là, pardon mais le graphiste a à peu près deux maquettes et trois typos pour faire ses couvertures donc non non et non ! La qualité d'une édition ne se limite à choisir le papier qui est le point fort de futuro mais à apporter tout le soin possible au livre pour lui rendre l'honneur qu'il mérite (en restant dans les impératifs financiers bien entendu) : embossage ou non, tranche-fil, choix des couleurs, des typo, du pelliculage etc. Regardez les livres des Requins Marteaux et de Cambourakis par exemple.
Bon sinon, pour le livre, c'est à voir à la lecture bien entendu.

j'ai rectifié mais du coup elle est toute con ma phrase

Non mais ne corrige pas, ça vaut pas quand même.

c'est que je trouve ça assez drôle ! grouiiiik

"Je suis sortie plutôt perturbée de cette lecture, très riche visuellement. Et je suis curieuse de savoir ce que pensent nos profs de la peinture du milieu enseignant."

Alors, dis-moi tout : qu'est-ce qui t'a perturbée, dans ce livre ?
Personnellement, j'y ai retrouvé beaucoup de mon quotidien (sauf dans la relation à la directrice - dans la plupart de nos écoles de taille moyenne, le directeur/la directrice a rarement un rôle plus important qu'un secrétaire... mais avec les responsabilités d'un chef en cas de pépins !) et la violence qui déborde de Bené est malheureusement très fréquente. J'ai bien aimé, d'ailleurs, que le personnage de Valentine soit tout sauf une maîtresse zen à la "Victor Novak/Gérard Klein", qui ne crie jamais et reste toujours juste, tempéré et patient. Valentine a des coups de sang quand Bené dépasse les limites - et c'est rare de représenter les enseignants de primaire comme ça, surtout dans une histoire où la maîtresse aide vraiment cet enfant, même quand elle lui crie dessus. J'ai beaucoup apprécié le passage où sa collègue, qui ne s'en sort pas avec le gamin, dit qu'il faut y aller doucement avec Bené, ne pas le brusquer ; Valentine se met en colère : ce gamin n'est pas handicapé, il n'a pas besoin qu'on le ménage, et les adultes ne doivent pas renoncer à lui appliquer les mêmes règles qu'aux autres. Bené lui-même le dit bien : "elle (sa nouvelle maîtresse) ne me tient pas". Voilà tout le fond de ce livre : la nécessité de donner des cadres à tous les enfants.
"Les rives sont les chances du fleuve puisque, en l'enserrant, elles l'empêchent de devenir marécage" (Jacques Bourbon-Busset)

En dédicace, au début du livre, on trouvera en première ligne "Un merci spécial à Rachel Boutonnet". Ce nom ne dira peut-être pas grand-chose à la plupart d'entre vous mais les enseignants devraient tiquer : il s'agit d'une instit qui a fait le "buzz" il y a une dizaine d'années en sortant deux livres :  "Journal d'une institutrice clandestine" et "Pourquoi et comment j'enseigne le B-A BA". C'est une collègue d'une quarantaine d'années qui a écrit son premier livre lors de son passage sur les bancs de l'IUFM (dans un but de critique du système pédagogique en place) puis le second pour expliquer pourquoi et comment elle utilise des méthodes très traditionnelles (méthode syllabique bien sûre, mais aussi maths et grammaire "comme avant"). Je ne cherche pas ici à rentrer dans les polémiques, mais on remarquera que Valentine utilise au moins le syllabique pur pour aider Bené. Et je pense qu'une telle marque de sympathie à l'égard de cette collègue ne doit pas être sans influence sur le personnage entier de Valentine.

Quant à l'ensemble du livre, j'ai beaucoup aimé les changements graphiques, qui traduisent le regard de Bené sur le monde qui l'entoure. Comment ne pas être touché par les pages où l'enfant comprend enfin le fonctionnement des lettres et où tout un nouveau monde se révèle à lui et envahit son regard de mots en tous sens. De même, les passages gribouillés de ses rêves/cauchemars sont très bien rendus.

Quant à l'image du masque qui suit Bené tout le long du livre, je dirais qu'il symbolise l'évolution de l'enfant : il commence léger et fragile comme un simple papier, puis devient de plus en plus consistant en se recouvrant de carton ; il s'enrichit de motifs qui sont autant de signes protecteurs pour arriver enfin au prénom écrit. Mais ce masque, c'est aussi la violence qui le couvre ; et quand, après la dernière bagarre avec ses amis, il se met à frapper cette image de lui-même, il finit par lui créer des yeux, comme s'il voulait enfin sortir de là et (rece)voir le monde. Valentine aussi a plein de théories sur ce masque Toujours est-il qu'à la fin, Bené le donne à sa maîtresse tout en prononçant des mots incompréhensibles. On sent qu'il voudrait dire quelque chose d'important - et puis ce moment magique capote. "C'est pas toi le monde", lui hurle-t-il, avant de s'enfuir. Comment comprendre cette phrase ? "Tu n'es pas le centre du monde, tu ne comptes pas tant que ça dans ma vie de gamin paumé" ? Ou bien "le monde n'est pas comme toi et il faudra que je me débrouille autrement, parce que plus personne ne m'aidera comme tu l'as fait" ? J'ai bien envie de la recevoir comme ça... et d'espérer que d'autres Valentines viendront aider Bené à pousser droit !

Graphiquement propre, avec de belles idées malines, un noir et blanc pas toujours noir et blanc. Un livre solide quant à sa facture.
Une histoire touchante (comment ne pas être intéressé par l'envie de sens qui advient chez l'enfant ?), fondée sur des émotions communes, et un sujet ancré dans la société d'aujourd'hui.
Un futuropolis ?

feufollet a écrit:

"Alors, dis-moi tout : qu'est-ce qui t'a perturbée, dans ce livre ?

hé bien Docteur, je me suis sentie toute chose à l'idée que ce petit à qui l'on a sorti la tête hors de l'eau quelques mois, le temps d'une rencontre comme on n'en fait pas si souvent, n'aura pas de suivi approprié dans la durée...et mon caractère pessimiste m'incite à penser qu'il risque de bien vite resombrer ( même si la technique de lecture est acquise )

...ou pas !

Moi qui connais Rachel Boutonnat, c'est bien elle qui est dessinée par Raphael Geffray. C'est plutôt une antique méthode épellative qu'elle utilise (le B.A. ba) et non syllabique (Béné écrit bien peu !).
Je n'aime PAS DU TOUT le positionnement professionnel de Rachel Boutonnat (je n'ai rien contre elle et suis d'ailleurs persuadé que cette collègue donne beaucoup de son temps pour aider les élèves les plus en difficulté).
J'avais donc préparé une page virulente contre les anti pédagogues.
Je me retiens finalement de poster toute remarque, le lieu étant mal choisi et la colère n'étant finalement pas le sentiment le plus approprié pour s'élever contre les mouvements réactionnaires qui ressurgissent périodiquement dans les médias pour nourrir des polémiques stériles et plonger l'école dans un immobilisme (« c'était si bien avant », mais quel avant???) dont elle n'a pas vraiment besoin, et poursuivre indéfiniment l'affrontement entre pédagogues et républicains.

Le livre est sinon honnête mais je ne saisis pas vraiment l'intention de l'auteur...

Mais quand même, Superphane, appelle-la par son vrai nom... C'est Boutonnet

Mille excuses. Je ne sais pourquoi le -et devint -at.

Ca fait plus auvergnAT !!!

Comme j'aime à le dire : Un livre et une histoire qui font "plouf".
Les promesses étaient pourtant bonnes, la belle esthétique Futuro, un dessin à la fois ultra réaliste et évocateur, un sujet autour de l'échec scolaire et de la relation élève-enseignant pas si souvent abordé que cela, bref pleins de belles intentions et un vrai potentiel.
Pourtant, la sauce monte mais ne prends pas, des longueurs où il ne se passe pas grand chose viennent plomber l'histoire (qu’apporte par exemple la scène au commissariat ?), le langage reste très élémentaire et ne permets pas au récit de s'élever réellement, et puis surtout, le plus important n'est à mon sens qu'effleurer, c'est à dire qu'au delà de l'échec scolaire, cet enfant est en échec familial absolu et c'est selon moi, le mal et la cause la plus profonde qui font de nos enfants, des enfants en difficulté, c'est à ce niveau que l'auteur aurait pu/(dû) insister.
Le rôle de la mère et l'absence du père ne sont pas assez significativement souligné et même si le personnage de Valentine est réussi, cela ne parvient pas à éviter une sorte de hors sujet (pour rester dans le milieu scolaire).