Éloi de Grouazel et Locard

Un bateau, un huis clos.
Des mois passés à bord de La Renommée, d'un bout du globe l'autre, sans autre échappatoire que celle de la mort.
À l'orée du XIXème Siècle, dans le sillage de Bougainville, les missions d'exploration des parcelles de territoire austral inconnues se multiplient en Europe, et les équipages des trois mats fins comme des oiseaux qui bravent les océans s'ouvrent à la société civile : prêtres, marchands, ethnologues, aventuriers… C'est une micro-société dans toutes ses composantes hiérarchiques que la frégate La Renommée accueille en son sein lorsqu'en 1837, elle jette l'ancre en Nouvelle-Calédonie : un commandant débonnaire, M.Dessailly ; un second bravache et militaire, M.Ruylaert ; un naturaliste à l'idéologie conforme aux canons créationnistes de l'époque, le docteur Delaunay, et un curé humaniste mais intransigeant avec l'idée de Dieu, le père Étienne. Après eux, des sous-fifres, des matafs ; une jungle hostile où Éloi, un jeune kanak (mot encore inusité) acheté à sa tribu, va devoir se débattre et tenter de survivre, la maigre protection du docteur ès phrénologie Delaunay, dissipé par les rêves d'une gloire que lui apporterait l'exposition du phénomène canaque (mot fortement usité) une fois accompli le voyage de retour en France, ne constituant pas une assurance tous risques.
La mise en scène d'une bande dessinée confinée à un espace réduit, à plus forte raison dans l'exiguïté d'un navire, relève toujours de la gageure. Monotonie des décors immuables, permanence des personnages, manque de profondeur de champ, font dans cet exercice figure d'écueils dont la narration a nécessité de se départir à la grâce de sa virtuosité. Le pari est réussi par Grouazel et Locard. Le risque de l'émergence de l'ennui que laisserait supposer un récit envasé, impression a priori renforcée par le choix audacieux de la bichromie, s'évanouit dès les premiers bords tirés depuis le rivage néo-calédonien. Le récit s'envole en même temps que la frégate s'éloigne des côtes. Chacun tient son rôle avec l'éloquence qu'implique le rang. Les répliques s'enfilent une à une aux fils conducteurs que constituent une courtoisie de rigueur au mess des officiers et une violence exacerbée en fond de cale par la présence inopportune du sauvage intrus. On parle doux, on parle dur, on essaye de tuer le temps en se cherchant des poux ; on digresse volontiers : les femmes qu'on retrouvera sur la terre ferme, la nécessité de l'évangélisation, la pensée colonialiste encore dictée par les attendus de la Controverse de Valladolid…
Le choix des cadrages participe également au dynamisme du découpage. Les plans rapprochés (gros plans, plans américains) privilégient l'expressivité des visages alors qu'une mise en scène plus théâtrale aurait sans doute atténué l'évolution psychologique des personnages, en particulier celle de Delaunay pour qui il serait plus juste de parler de décomposition. Peu à peu, le décor s'efface au profit des âmes qui le hantent et, quand bien même on tâche de s'y soustraire, le naturel revient au galop, d'autant plus dans sa condition de naturaliste !
D'un univers réduit à une prison, aussi dorée soit-elle, naissent souvent la folie ou la mort. Quand les deux se rejoignent, et que la terre de destination est encore loin d'être en vue, coutume est de faire profil bas et de s'en remettre à la voie hiérarchique. Le commandant Dessailly est là, il sait garder tête froide.

« Finir bouffer » ??!   

Je ne dis plus rien, je vais encore me faire pourrir…

Et pourquoi ça ? Mais merde, ça fait chier, là !

Ça fait chié  

Même les meilleurs font des erreurs.

Superphane a écrit:

Même les meilleurs font des erreurs.

Bien sûr, mais la question n’est pas là. À part certains charlots imbus d’eux-mêmes, je ne connais pas un auteur qui, s’il avait le choix, se passerait volontairement d’une relecture de son texte avant impression. La décision de s’en priver est donc prise à l’étage du dessus. Le problème, c’est les boîtes qui balancent leurs produits à coût minimal, en grattant à tous les niveaux pour faire des économies de bouts de chandelle. À l’arrivée, la qualité en pâtit forcément, et c’est d’autant plus rageant quand le travail effectué à la base est de qualité.
Un exemple parmi cent : ce bouquin est peut-être passionnant, mais on peut légitimement douter du sérieux du truc au vu de la couv…

elle est bien, celle-là !!

eraserhead a écrit:

elle est bien, celle-là !!

Oui, c’est marrant, mais je crois pas que l’auteur ait beaucoup ri en voyant ça. Bon, y avait de quoi se méfier, aussi, à la base : les Éditions de l’Amateur…  

Petite déception. Huis clos , récit d'aventure , les bateaux , les vagues , tout ça , d'habitude ça me parle (Long John Silver miam miam).
Ici , cela n'a pas réellement fonctionné même si le final et l'accélération qui est donnée au niveau du rythme me permet de rester sur une note optimiste pour cette histoire qui manque selon moi de concision.
En effet c'est long , très long et sur l'espace que se sont donnés les auteurs , je ne trouve pas que la psychologie des personnages (qui devrait être ici le nerf de la guerre du récit) soit très clairement développée , on ne ressent pas assez la folie de Delaunay , les remords coupables du commandant , ni même la haine ou la révolte qui peut animer Eloi.
Peut-être trop de personnages , peut-être l'absence d'UN personnage principal , peut-être le dessin , peut-être que ça vient de moi aussi !

Can      , stoplait      , arrête les espaces avant les virgules !

Pas très enthousiaste après cette lecture, la moins bonne de la sélection du mois pour moi.
J'ai trouvé le récit un peu long et je regrette que les caractères des personnages ne soient pas assez développés.
J'aurai aimé en savoir plus Eloi, comment il perçoit son déracinement, ce voyage?!

De très beaux dessins pour une histoire très intéressante. Comme Can, je trouve qu'il y a des longueurs et cela porte préjudice à cette BD, ce qui restreint la portée de cette œuvre selon moi.

Je vous trouve un peu dur avec cet Eloi de bon aloi.
Je trouve l'écriture assez convaincante, le récit prenant. Le thème m'a fait repenser à la contreverse de Valladolid. Avez-vous déjà vu ce brillant téléfilm ? Il n'est pas trop tard pour finir l'année en beauté !





...

Point de longueur ni de déception pour moi avec ce fort bel ouvrage. Au contraire, ce fut une belle surprise, même si la moulinette des notes ne devrait pas lui laisser de grandes chances.
Il me semble, ici, un peu contradictoire de reprocher des longueurs et le manque de développement de la psychologie des personnages. Je trouve au contraire que la montée en puissance du récit fait ressortir les motivations le plus intimes de chacun voire les pulsions les plus folles. C'est sûr, tout n'est pas dit dès le début, certains se cachent et se préservent, d'autres semblent être plus monolithiques, mais les épreuves vont fendre les façades et certains se révèlent alors. Rien n'est aussi simple qu'il n'y parait. Je trouve ces évolutions plutôt bien traitées dans ce livre.
Le dessin accompagne bien le récit. D'une précision incroyable, je n'ai jamais ressentit la vie à bord d'un bateau avec autant de force. Le caractère étriqué du lieu et tout ce que cela engendre sur les relations humaines sont particulièrement bien mis en scène.

Finalement, maintenant que je viens de tenter d'écrire quelques arguments, la note ne sera peut être pas si mal.... Ça sert aussi à ça les commentaires.




Colux, d'avance, mille excuses, je me suis bien appliqué mais tu me connais, hein !
(au fait, mille est bien invariable ?)

Comme quoi c’est juste de la flemme, parce qu’on voit la différence quand tu t’appliques !   
Mille est bien invariable, sauf s’il est marin.

Tout juste débarquée de la dernière page, et j'en ai le cœur encore tout retourné. La longueur du voyage était, à mon avis, absolument nécessaire pour développer la psychologie des personnages et éviter l'écueil du manichéisme. Une plongée dans les tréfonds de l'Humain ( exclusivement masculin en l’occurrence ), c'est pas vraiment joli joli... Le récit est remarquablement bien mené, je n'ai rien lâché avant la dernière case, et quelle oppression, quelle noirceur dans le dessin ! Je m'étonne moi-même d'éprouver tant d'enthousiasme devant une histoire si sombre, mais c'est ainsi : une lecture loin de l'anecdotique !

Voilà un titre à côté duquel on pourra dire que je suis complètement passée... Désolée, je me sens un peu coupable mais impossible d'accrocher, de rentrer dans le fil de la narration ou des portraits qu'il offre. Cela me laisse à la fois un gout d'inachevé, de raté et en même temps je dois bien admettre que je ne regrette pas puisqu'à aucun moment je n'ai réussi à pénétrer cette lecture d'une manière ou d'une autre...
Pourtant le dessin donnait plutôt envie de base mais là encore rien... peut-être dois-je imputer la faute à Noël et au manque de disponibilité de mon esprit au moment de cette lecture. Cette dernière remarque demeure néanmoins un mensonge je pense, car même fatiguée, une lecture qui m'accroche, m'accroche et je ne la lâche pas si facilement...
Je me retrouve donc à travers les témoignages critiques de mes compères internautes, même si je conserve une part de scepticisme quant à mon jugement que je n'arrive pas vraiment à fonder davantage que ce que je vous écrit ici...
Il en ressort une note modeste et une lecture sur laquelle j'aurais peine à m'étendre davantage...

Après Kongo et La colonne, les rapports coloniaux sont encore une fois explorés... De ces trois titres lus cette année, c'est celui qui m'a le plus plu. Le dessin est fantastique, mais surtout j'ai apprécié l'épaisseur des personnages de ce huis clos. J'ai trouvé que la diversité de leurs positions face à l'étranger donnait un large inventaire des positions possibles. Une bonne lecture.