Surprenant album, que ce nouveau Mattotti, sorti tout frais il y a quelques semaines chez Gallimard. Surprenant, car il n'est pas facile d'y reconnaître le trait de l'auteur, ni la palette chromatique. Surprenant aussi, pour qui découvrirait (comme moi) les aventures de ce personnage créé par Mark Twain.
Huckleberry Finn, c'est le copain de Tom Sawyer ; lui aussi, c'est l'Amérique. Le symbole de la liberté... mais il faut s'affranchir de ce souvenir laissé par la télé dans la tête de nombreux enfants des années 80. Mark Twain, c'est une plume, un ton réinventé à chaque texte, pour adhérer à l'esprit du livre, l'esprit du personnage. Si l'histoire de Tom Sawyer reste du côté de l'enfance, celle, qui suit, d'Huckleberry Finn se situe davantage du côté de l'adulte en devenir, dans lequel éclot toute une réflexion sur le monde qui l'entoure, politique, sociale, éthique.
Huck a hérité d'un magot lui permettant de vivre confortablement chez une vieille dame qui l'a recueilli. Néanmoins, cette vie bourgeoise ne satisfait pas le vagabond qu'il était, et quand son père, ivrogne et violent, décide de le récupérer pour bénéficier de son argent, Huck saute sur l'occasion pour prendre la fuite.
Il aide en chemin Jim, un esclave en fuite, lui aussi, et les voilà partis sur le Mississippi, entre marécages et villes en devenir, enchaînant les rencontres, plus ou moins heureuses à chaque fois, errant alors à travers une Amérique brutale, raciste, et pleine de boue. Il clora son apprentissage de la vie en retrouvant (rassurez-vous) son copain Tom.
Mattotti réussit avec cet album à donner une envie tenace de se confronter au texte original, qui constitue un des sommets de la littérature américaine : les sommets m'inquiètent, mais là, on sent, dans l'adaptation, une proximité, une profondeur, une humanité incroyable qui affleure. Ce qu'il réussit par dessus tout, c'est la description des villes, dans des cases graphiquement irréprochables, ou la misère pèse.
Le lecteur inattentif apprendra lors de la postface (joliment illustrée) que cet album, Mattotti l'a dessiné en 1978 (ouf ! je savais bien qu'il y avait un truc !) soit 5 ans avant Le Signor Spartaco, son premier album publié en France. Mattotti publie cette histoire en Italie, en noir et blanc, et dans des planches de format traditionnel en quatre strips ; il avait travaillé sur un scénario écrit par Antonio Terramanti.
L'album édité par Gallimard est d'une autre facture, puisqu'il en propose une version 'à l'italienne', colorisée numériquement par Céline Puthier, qui avait travaillé avec Mattotti sur Peur(s) du Noir (voilà, tout s'explique !). Les couleurs choisies fonctionnent assez bien, même si l'on sent souvent que le dessin est prévu pour du noir et blanc, mais elles rendent plus joliment le sud des Etats-Unis, ce qui n'était peut-être pas le projet de départ, sans trop en rajouter.
En visitant le blog de Mattotti, on trouvera des demi-planches en noir et blanc, ainsi que la progression couleur de l'illustration de couverture (
http://lorenzomattotti.blogspot.com/).