La case mémorable

La case mémorable est la case qui marque le lecteur dans son jeune âge. Porteuse d'atmosphère, source de fascination ou de répulsion, elle titille son imaginaire. Raymond en parle très bien ici

Lors de mes lectures, différentes cases m'ont marquées. Revues à l'âge adulte, je réalise à quel point le prisme du souvenir les a déformées et embellies. (la "voiture-vache des As, par exemple) Néanmoins, certaines gardent leur charme.

Voici l'une d'elles, tirées de Janus Stark 14 (Mon Journal) paru en octobre 1976.

A Londres, au début du 20e siècle, un mystérieux colosse fait dérailler les trains de nuits. Janus Stark le poursuit et découvre son identité.



La mise en scène, l'éclairage expressionniste, la taille du monstre, son allure pataude et son geste menaçant m'avaient alors fortement impressionné. J'y voyais toute la démesure de l'affrontement entre le héros et cette créature, héros qui me semblait d'autant plus courageux qu'il était clairement désavantagé.

Et vous, des images qui vous reviennent ?

Le héros, peu fier de son meurtre, fume sa clope au milieu du chaos de son appart.
J'adore.
J'aime le cadrae, le détail, la lumière froide, le sang et le fumée.
L'odeur des ennuis.

Le calme après la tempête.


Mes Cauchemars avaient enfin un nom.

Blacksad.
Vrai qu'elle a de l'impact.
Le calme après la tempête, le désordre qui reflète la perturbation du héros.
L'angle de vue, en plongée, qui écrase les protagonistes.
J'aime beaucoup celle où paraît pour la première fois le commanditaire des meurtres, avec la lumière du soleil inondant la scène.

Petit recadrage.

Quand on parle de "case", il s'agit d'une vignette de bande-dessinée, donc d'un élément d'une continuité narrative. Elle est un élément d'une suite de cases, si vous préférez.
Elle peut figurer le début d'une action (on peut parler de case d'exposition - genre la grande case qui ouvre l'album d'Astérix), une étape de son déroulement (même si la BD fonctionne par ellipses, on ne peut pas tout éluder) ou un aboutissement (genre la scène du banquet d'Astérix - mais elle ne clôt pas obligatoirement le récit, juste l'action.) Par exemple :



La première vignette montre le début de l'action (des vampires se préparent à attaquer) et la situe dans l'espace et dans le temps (une ferme, la nuit) ;
La seconde montre l'action en cours (les vampires pénètrent la maison) ;
la 3e montre la fin de l'action (le vampire agresse le fermier : l'action ne semble pas achevée - le fermier non plus - mais sur cette vignette se termine le récit en flash-back - dites "analepse" pour vous la, péter dans les cocktails mondains - donc il s'agit bien de la case finale.)

La case va nous marquer pour une raison X ou Y : parce qu'elle présente un coup de théâtre ou un cliffhanger (par exemple, l'apparition de Galactus à la fin d'un épisode des Fantastic Four), un retournement de situation (Arcade éclate de rire lorsqu'il annonce à Fatalis que Diablo s'est évadé de son piège), parce qu'elle met en exergue le moment de tension paroxystique d'un récit (le fameux climax - par exemple, Iron Man décoche le coup de poing fatidique qui va mettre Hulk KO debout), une action saisie dans son déroulement (Giraud était marqué par une vignette de Jigé montrant un indien se ruant sur Jerry Spring alors que, simultanément, le cow-boy ouvrait le feu avec son fusil sur son agresseur cf. Les cahiers de la BD) etc.

La case mémorable n'est pas nécessairement le fruit d'une prouesse graphique particulière (elle fait partie d'une suite or un dessinateur n'est pas un illustrateur, il ne pense pas ses cases séparément mais en fonction de l'action qu'il veut rendre), néanmoins elle marque le lecteur (peut-être plus qu'elle ne le devrait) au point qu'il en garde le souvenir et l'embellit... Au risque d'être un peu déçu quand il la revoit. Par exemple, un de mes amis était marqué par la vue en coupe du Baxter Building dans un récit des Fantastic Four.

Est-ce qu'un dessin de couverture est une case mémorable ? Oui et non.

Non parce que le dessin de couverture n'appartient pas à une suite : il synthétise une action clé du récit en BD voire plusieurs actions, et annonce le contenu du livre. Il est donc autonome. (Et parfois, il n'est pas l'œuvre du dessinateur du récit - cf. les cover artists des comics - ou il est exécuté dans un style radicalement différent - cf. les couvertures peintes des albums franco-belges - les couvertures des Chevaliers du Ciels ont d'ailleurs été refaites pour que Tanguy et Laverdure ressemblent à leurs incarnations télévisuelles, ce qui laissait perplexe le jeune lecteur lorsqu'il découvrait la tête de Laverdure dans l'album !)

Oui, parce que certaines cases synthétisent une action : par exemple, la fameuse vignette de Tintin(que je me garderai de reproduire), tirée de l'album Le Crabe aux Pinces d'Or, dans laquelle Hergé décompose à travers l'attitude de différents berbères le mouvement de fuite des pillards effrayés par les cris de colère du capitaine Haddock (en réalité, ils sont effrayés par l'approche d'une colonne de méharistes... Peut-on parler de double focalisation ? Non. ça suffit pour ce post la masturbation cervicale !)

Donc, postez les images de BD qui vous ont marquées, ce qui compte, c'est de se faire plaisir.

Zaitchick a écrit:

... par exemple, la fameuse vignette de Tintin(que je me garderai de reproduire), tirée de l'album Le Crabe aux Pinces d'Or ...

Justement, les cases qui m'ont probablement le plus marqué gamin sont dans Tintin. Géneralement les hallucinations. Par exemple dans Les Cigares du Pharaon, Tintin drogué révant à ses ravisseurs la tête de Milou et de divers autres personnages de l'histoire(de mémoire), ou dans Le Crabe aux Pinces d'Or celle où Tintin se voit coincé dans le col d'une bouteille et le capitaine Haddock armé d'un tir-bouchon... Il y a aussi la terrible séance de télé couleur dans les Bijoux de la Castafiore.

Dans le genre, certaines vignettes de M. Magellan m'avaient beaucoup impressionné.

Il ne me reste de mes lectures enfantines plutôt des sensations que des cases mais le concept, bien qu'assez obscur, me titille. Je vais y songer... Peut être !

Zaitchick a écrit:

Dans le genre, certaines vignettes de M. Magellan m'avaient beaucoup impressionné.

Ah oui, tient! Tu viens de reveiller de vieux souvenirs d'un épisode de Mr Magellan justement se déroulant dans un bateau je crois, ou une base marine, et où une créature monstrueuse prenait l'apparence des marins à la façon de La Chose de Carpenter. La BD doit d'ailleurs être contemporaine du film. Une séquence avait particulièrement impressioné le très jeune lecteur que j'était, où le torse d'un des marins se déchirait pour ouvrir une très large gueule.
Je confonds peut-être avec une autre série paraissant au même moment dans le Journal de Tintin, le souvenir est lointain et j'ai malheureusement perdu les numéros en question depuis longtemps. Après avoir fouillé un peu sur le net, il s'agit peut-être de l'album La Mer à Boire.

Je revois la couv' (Magellan et sa compagne dans un glaçon mais je n'ai aucun souvenir du récit...)

Je vais peut-être vous surprendre, voire même vous choquer. Mais à défault de case, c'est une série entière qui m'aura forgé à la BD dès mon plus jeune âge, avant mes dix ans.
Elevé dans la tradition religieuse, j'ai lu et relu pendant des années l'Evangile de Jesus-Christ, série ecclésiastique suivant religieusement les Saintes-Ecritures.
Style graphique sans grand intérêt, s'effaçant pour devenir l'outil du message de la foi. Les images collent aux textes comme le revers de l'enveloppe avec la glu adhésive.



Quelle évolution ! Passer de œcuménisme au septième art. J'étais pourtant frappé par cette illustration des textes barbans, qui prenaient toute une autre signification grâce à l'image. Les cours de catés me permettaient d'étaler ma science et d'avoir de bonnes notes pour la communion. Peut-être d'avoir droit ensuite à un billet Première classe pour aller (dans longtemps) au paradis.

Plus sérieusement, cette série m'a appris à lire et à prendre du plaisir à lire. Lire tout court, et lire l'image. Jamais plus ensuite je n'ai eu le même plaisir sans la représentation graphique. Sans l'image, point de salut ! La richesse d'un récit n'était pas ancré dans sa complexité, ou dans son caractère profond. Il résidait dans l'intelligence de l'écriture, qui alliait le message et la portée du récit, et son illustration.

Je n'ai pas lu que La Bible étant petit, et j'ai pris énormément de plaisir avec Gaston et le génial Franquin, puis avec les clasico tel Hergé, Morris, Uderzo-Goscinny Mais tout cet éveil à l'image vient de cette série parlant de la Bible que je conserve précieusement dans mes cartons.
Avant de la faire partager à la descendance, les dimanches matins, à coup de lectures forcées devant la messe de la 2 !

Même si certains diront qu'ils ont préféré le roman, l me reste à moi aussi certaines images de mon catéchisme d'antan mais ce n'était pas de la BD. Ceci expliquant peut-être mon défaut de croyance actuel. Qui sait !

Je participerai bien à ce sujet mais le problème c'est que des cases mémorables , j'en vois plusieurs dans la plupart des albums de ma bibliothèque , pas facile donc de faire un choix .

Pierrick, nous parlions tout à l'heure, Marc et moi, des revue sur l'Histoire de France en BD, très pédagogiques aussi. Avec des dessinateurs plus affirmés, néanmoins. Là aussi, il y a des cases marquantes.

Can : Am Stram Gram... et tu trouves.

Nouvelle case marquante due à George Perez (encreur ?) dans La Ligue de Justice (DC-Arédit, 1982).

Darkseid, le dieu du mal est mort à l'issue de la série New Gods (alors abandonnée par Jack Kirby). Il se manifeste alors à des pions terriens qui seront l'instrument de sa résurrection.



Dans cette vignette (panoramique verticale), le dieu crève le sol et se dresse de toute sa hauteur. Il a l'aspect d'un gigantesque golem composé de béton et de pierres. Les canalisations évoquent des serpents autour de lui puis dessinent des veines saillantes sur son corps minéral. Bien qu'il ne s'agisse que de matière animée, Darkseid semble présent, habité par la colère et l'esprit de revanche. Devant lui, les vilains paraissent minuscules, écrasés par une force qui les dépasse.

Une image qui m'avait marqué tant Perez avait su rendre la fureur et la puissance du dieu vindicatif.

Lorsque j'apercevais mon grand-père entrer chez le père Sahut (le marchand de journaux du bourg), je me collais dans son sillage avec l'espoir de me faire offrir un "illustré". Ce jour-là, comme souvent, pépé était disposé à m'offrir une BD, à condition que ce ne soit pas "des pifs et des pafs" (comprendre Pif Gadget ou assimilé.) Je jetais alors mon dévolu sur une revue dont la couverture, dynamique m'attirait...



On y voyait une créature de métal, dans une pièce remplie d'ordinateurs, qui tentait de foudroyer de son regard un homme costumé en diable et sa compagne tout de noir vêtue... tandis que, derrière lui, deux êtres, en métal également, pénétraient dans le laboratoire. Cette scène avait quelque chose de fascinant. Elle donnait envie de voir à l'intérieur...

pour moi, très clairement, la première qui revient est une planche de LA CAVERNE DU SOUVENIR d'Andréas.


toujours chez Andréas, la terrible souffrance de Rork à l'approche du cimetière des Cathédrales



et pour finir, l'absolu de l'horreur, avec cette case d'Alinoé...



rétrospectivement, j'ai pas eu une enfance facile...

(à venir, dès que c'est scanné, ll'extraordinaire case-planche des YEUX DE TANATLOC dans laquelle Thorgal malade revoir toutes ses aventures !)

Beaucoup de cases d'Andréas sont des cases mémorables.

eraserhead a écrit:

rétrospectivement, j'ai pas eu une enfance facile...

C'est normal quand on a une tête de tortue. ^^

eraserhead a écrit:

et pour finir, l'absolu de l'horreur, avec cette case d'Alinoé...

Oui oui, elle m'a traumatisé longtemps celle là, et je crois bien que j'ai encore peur !

Citation :

et pour finir, l'absolu de l'horreur, avec cette case d'Alinoé...

J'ai fait des cauchemars à cause de cette bds (surtout que ce fut par hasard le premier album de thorgal que j'ai lu. Je suis passé à deux doigts de ne jamais lire toute la série).

Zaitchick a écrit:

Beaucoup de cases d'Andréas sont des cases mémorables.

Cha ch'est chur!

Récemment encore, les 2 premières cases du Passage (Capricorne 9) m'ont impressioné. Désolé, pas de scanner à la maison, mais j'invite ceux qui ne l'ont pas à se précipiter chez leur libraire favori pour feuilleter
Je vais quand même tenter une description:
La première est en pleine page, plan rapproché en plongée sur Capricorne allongé sur le ventre et ce qu'on croit être une bâche. Un pan de sa veste est replié par le vent. Pas de détails dans le décor. Mis à part le texte, rien ne nous laisse supposer un quelconque danger pour notre héros. Toutefois, ses pensées et sa pose inhabituelle nous font bien comprendre que la situation n'est probablement pas très confortable pour lui.
La seconde est en double-page, zoom arrière et plongée vertigineuse sur Manhattan. Les grattes-ciels aux innombrables et minuscules fenêtres paraissent d'autant plus lointains qu'ils sont écrasés par un violent effet de focale déformant la perspective. Capricorne n'est plus qu'un moucheron aplati, cramponné au dos d'un dirigeable en plein vol dans le ciel New-Yorkais. On distingue tout là-bas en bas quelques voitures formant une colonie de fourmis et quelques pucerons sur les trottoirs. En quelques bulles éparpillées dans la case, le monologue intérieur du personnage nous renseigne sur les évènements précédents, et pourquoi nous le trouvons en si mauvaise posture. Sueurs froides garanties même pour les lecteurs les plus casse-cous, et entrée en matière en pleine action diablement excitante!

Vous avez bon goût, colonel.

Rork comporte aussi son lot de cases - y compris les cases résumés avec lesquelles il joue sur la mise en page.

Une autre.




Arishem, commandant de la 4e armée.
(Les Eternels, Jack Kirby, Marvel-Panini.)

Cette case là est mémorable pour moi à plus d'un titre.

D'abord, c'est du Kirby. Et quand Kirby dessine un dieu cosmique, ça crache. Kirby, c'est beau en noir et blanc. Mais là, avec un jeu de couleurs primaires (armure rouge, reflets jaunes, paysage cosmique bleuté et jaune), ça donne envie d'être peintre !

Ensuite, c'est le moment-clé du préambule : les dieux cosmiques reviennent sur Terre et leur Chef pose le pied sur notre planète en attente de jugement. L'effet est dramatique. C'est le premier dieu qui se manifeste dans le récit et c'est un dieu de colère et de vengeance ! Une idole démesurée et sans visage. Un mélange de références bibliques et païennes. Un cliffhanger imparable.

Enfin, cette image a été reprise une 2e fois... pour annoncer l'arrêt inopiné de la publication de la série dans Strange, en raison des "mises en garde répétées" des sagouins de la censure - un prétexte des éditions Lug, en fait, pour stopper la série et passer un double épisode de Spider-Man. J'en conçus un intense sentiment de frustration à peine calmé par la découverte de quelques épisodes diffusés à la sauvette par Arédit dans des fascicules de poche (L'Inattendu)... Inutile de dire que je me suis rué sur la tardive édition française intégrale.

autre album avec son lot de cases mémorables... HP et Giuseppe Bergman
au hasard :

Connais pas. De quoi ça parle ?

Les Aventures de HP (Hugo Pratt) et Giuseppe Bergman, c'est une série de Manara chez Casterman, une sorte de délire érotico exotico 70's qui raconte les aventures picaresques de G. Bergman, guidé par la figure divine de HP.

de loin le meilleur album de Manara

OK.
Merci.

Case mémorable est récurrente : la case finale d'Au douzième coup de Minuit (At the stroke of midnight - Marvel, 1969) de James Steranko, une histoire courte d'horreur gothique, parue en petit format chez Arédit (Eclipso 66, 1979)



Très gros plan sur le visage de la victime hurlante avec un raccourci volontairement forcé afin de rendre son indicible épouvante...

Case reprise par Jackson (Butch) Guice dans un épisode de la série Nick Fury (#22, Marvel, 1991 ; #9, Sémic-France, 1992)



Un clin d'œil-hommage du dessinateur à Steranko qui officia sur le personnage dans les années 60.

Case détournée par Laurent Lefeuvre dans Tom et William...



Vibrant hommage à la BD petit format des années 50 à 90...