Putain de Guerre ! de Tardi et Verney

Or donc, Tardi replonge dans sa plus grande angoisse, celle des tranchées, celle de son grand-père. Mais en couleurs cette fois, comme s'il avait brisé pour l'occasion le dernier tabou d'une réalité : les guerres se font bel et bien en couleurs.
Comme d'habitude depuis Le Secret de l'étrangleur, la bande dessinée a été imprimée dans un format journal de trois numéros avant sa publication en album. J'aime bien les grandes pages et le prix deux fois moins élevé
C'est donc une chronique de guerre qui nous est présentée, ou plutôt une "chronologie de la guerre des tranchées" chapitrée par années.
Il n'y a pas de dialogue, aucune bulle. Seulement trois cases horizontales par page, comme un cinémascope, et des cartouches de commentaires cyniques et précis, ceux de notre "héros", soldat sans nom ni grade, bleu parmi la bleusaille, à qui il ne reste guère que le sens de la formule.
L'individu rejoint l'universel par le biais de son témoignage, l'histoire personnelle devient tout simplement l'Histoire. L'horreur disséquée. On pense souvent à Bardamu ...
Chaque année se conclut par un supplément de quelques pages signées de l'historien Jean-Pierre Verney et proposant de nombreuses photos.
Amis profs d'Histoire, voilà un livre à faire étudier dans tous les collèges !

La suite, les années 1917 et 1918, devrait paraître assez rapidement, le journal n°4 dès le début d'année

Après Le Coeur des Batailles, Paroles de Verdun, le dernier Gibrat, la Grande Guerre est à la mode. Vous allez pouvoir me le mettre de côté, amis libraires.

Je me suis senti parfois étouffé sous la terre et le sang des tranchées.
Tardi a su nous embarquer avec les poilus dans l'enfer de cette guerre, tout en nous laissant pauvres spectateurs impuissants (autant que les soldats sans doute)
une de ces meilleures bédés à ce jour.

Enfin, ça y est, j'ai lu la transcription de Tardi de cette Grande Guerre.

On retrouve à chaque case le langage fleuri et démodé dont Jacques Tardi a le secret. Une plongée dans l'époque, sans la moindre concession. Et une efficacité redoutable, faisant de cette Putain de Guerre un album fort, efficace, bien plus parlant qu'un Coeur des Batailles de Jean-David Morvan.
La longue bande de texte qui accompagne les dessins n'est jamais barbante? Loin d'être une gageure, elle accompagne et enrichie à chaque fois une illustration marquante, en nous faisant partager les sensations de ce jeune garçon plongé dans ce conflit.
La construction graphique est géniale, n'hésitant pa sà mettre en parrallèle les deux camps, mettant à égalité les deux "générations sacrifiées" de deux côtés du Rhin.

Jamais je ne me suis ennuyé dans cet opus. Pourtant, ça tourne à des moments en rond, mais pour mieux nous faire ressentir la solitude et la longueur de "cette guerre qui s'éternise".

J'ai beaucoup apprécié la mise en regard des deux camps, le français comme l'allemand, perspectivement, sur une même double page, en parfaite symétrie. C'est quelque chose qui finalement doit être remis d'actualité, cette notion de point de vue, de guerre aussi merdique d'un côté que de l'autre, où le l'être humain, le soldat, n'est plus qu'un infime pion de tout ce qui se révèle finalement n'être qu'une mascarade. Je n'ai pu lire cette BD sans penser immédiatement au film / roman "A l'ouest rien de nouveau" : l'on ne sait qui est l'ennemi, parce que l'autre est comme moi finalement, ennemi d'un côté, de l'autre, dans son propre camp, chez les supérieurs, en soi.
Il m'est souvenir qu'à un moment donné de ma longue vie, oh, j'étais bien jeune à l'époque, je partageais ma chambrette avec une Allemande et une Polonaise. Nous vivions toutes trois en Polonitude, et j'ai le souvenir marquant, encore aujourd'hui, de conversations passionnantes entre ces trois "camps", la France, l'Allemagne et la Pologne, trois nouvelles générations, débattant sur les différents conflits qu'avaient opposé leurs parents et grands-parents. Débattre pour ne plus se battre : bien plus enrichissant en tout cas que nos livres d'histoire, plus partiaux qu'on ne le voudrait. Et je crois que c'est bien dans cette lignée-là qu'a voulu s'inscrire Tardi - parce que finalement c'est comme ça que se construit la paix, la vraie, celle des peuples.

Pas du tout blanc, pas du tout noir, mais du rouge sang, du marron merdeux, du bleu sale, partout : voilà ce qui se dégagé de ma lecture. Fred parle justement de couleurs, et on les ressent fortement, donnant "vie" à chaque case, et nuançant chaque camp. Pas de bons, pas de méchants, mais le seul but le matin de rester en vie jusqu'au soir, et avancer comme ça jour après jour, heure après heure, ou mourir. Et ce système-là consume l'être au point que tous finissent par ce ressembler, sans distinction. Soldats, ouvriers, meurtriers, préposés aux impôts, des "gueules" que l'on colle comme l'on poserait des masques et qui s'interchangent, pour finalement ne finir par être que des gueules cassées, dans l'impossibilité de raconter l'horreur.

Les propos du protagoniste sont certainement un peu trop poussés, voire "retranchés" dans ses positions, virulants, certes, mais qui a le mérite de mettre en lumière tous les oubliés : les gueules cassées, les colonisés, l'aviation, les mutineries, les suicidés, etc. Vrai travail de documentaliste, d'archiviste, ces Messieurs-là devraient passer les concours de la fonction publique catégorie B. Peut-être ont-ils voulu trop englober, faire un récit total, parler de tout, ce qui coupe un peu le fil narratif - je ne sais si le regard seul du soldat de l'époque pouvait avoir conscience/connaissance de toutes ces facettes-là de la guerre. Mais le message est aussi fort que dans une cassette que j'ai visionné il y a peu, "No man's land", condensé chez Tardi dans la scène du face à face avec un Allemand : message anti-militariste, d'un simple homme face à un autre, qui aujourd'hui peut-être plus que jamais, doit toujours être clamé haut et fort.

Dans le cadre du Shériff D'Or de ce mois, j'ai donc emprunté cette BD... et ma lecture fut brève : c'est lourd et indigeste !!!
Une piqûre de rappel sur cette triste et inutile période de l'Histoire de l'Homme ne fait certes pas de mal mais bon...
Comme l'a bien souligné fred, un ouvrage à étudier/utiliser comme support dans l'Education Nationale !

C'est dur ! très dur !