[Chronique] Asterios Polyp - David Mazzuchelli

Ayant recemment range et classe mes BDs (tout le monde s'en fout je le sais bien), j'en arrive a trainer sur les forums de BDGest / Bedetheque.com, ceux ou on peut facilement passer une nuit entiere sur une seule journee de posts... Bref, la je decouvre la sensation du moment aux USA : Asterios Polyp de Mazzuchelli (que franchement je ne connaissais qu'en tant que dessinateur du Batman de Year One de Miller). Partout des commentaires dithyrambiques. C'est super, c'est formidable, un tres grand livre, etc. Ayant quelques BDs a acheter sur Amazon (voir mon post A venir), je me procure le dit Asterios Polyp.

Le livre : tres elegant, a moitie toile violet, a moitie cartonne (en vrai carton !) avec une jaquette qui ne recouvre pas completement le livre lui-meme. Un tres bel objet. Assez fragile neanmoins. Tres beau papier a l'interieur, mais tres absorbant, ne pas eternuer en le lisant ! Le design est tres reussi que ce soit les pages de garde, la jaquette ou par exemple Asterios lui-meme qui apparait en creux dans les parties cartonnees du recto et du verso. Le format est etrange, presque aussi large que haut et comme le livre est epais, ca rend tres bien. Mazzucchelli ayant concu lui-meme le contenant on comprend mieux pourquoi il ne ressemble a rien d'autre et fait echo au contenu (on y reviendra).

Le dessin : groumf. C'est la grosse claque. LA GROSSE CLAQUE. Comment dire... C'est riche, c'est fin, c'est detaille, c'est inventif, c'est audacieux, c'est vivant, jamais fige, des cases parfois, des pleines pages parfois, des doubles pages de temps en temps, des constructions a tomber a genoux, tout ca alternant avec un sens du rythme et de la mise a page qui font pleurer de bonheur. Et s'il n'y avait que ca... LA COULEUR. LA COULEUR. La palette se limite a quelques couleurs (le violet, le rouge, le jaune, le bleu) principales, et c'est la qu'est tout le genie de Mazzuchelli, il reduit la palette pour en jouer a loisir, les combiner, les marier, les dissocier, les personnes principaux ayant chacun leur couleur, de subtils jeux se mettent en place de case en case, de page en page, qui soulignent les non-dits, l'etat d'esprit des personnages, les particularites de leur univers, etc.

Le scenario : le livre retrace la vie d'Asterios Polyp, architecte de "papier", reconnu comme genial, mais dont aucun projet n'a jamais vu le jour. C'est tout bonnement fantastique. Partant d'une ligne temporelle qui suit la vie d'Asterios apres l'incendie de son appartement le jour de ses 50 ans, on revient par petites touches sur son passe, sa vie, son oeuvre (jamais realisee), sa famille, sa vision du monde, sa personnalite, sa construction en tant qu'individu, la rencontre avec sa femme et leur relation (element central du livre), et l'evolution que ce double evenement (cap de la 50aine et incendie) va entrainer dans sa vie. C'est truffe de references (culture, histoire contemporaine, design, philosophie, etc.) sans jamais devenir lourdingue, l'harmonie entre dessin et scenario est totale, notamment car la maniere de voir les choses d'Asterios (binaire / geometrique) et son evolution personnelle (mais egalement celles des autres personnages) est retranscrite directement, comme dans un jeu de miroirs, sur le papier permettant instantanement de penetrer dans la psyche des acteurs de cette piece. Il y a des jeux de correspondance a travers tout le livre, des mises en abyme remarquables (ahhhh la descente d'Orphee / Asterios aux enfers), des reflexions etourdissantes. Et en plus c'est drole. Drole d'un humour fin et sec. Brillantissime...

Bon, c'est simple je pense qu'on a la un classique instantane de la BD. Je ne vois pas comment il sera possible d'ici quelques annees de ne pas avoir Asterios Polyp dans sa collection. C'est definitivement un livre majeur, qui m'a fait le meme effet que La Ballade de la Mer Salee, pour situer le niveau. Neanmoins, ca ne s'adresse pas je pense a tous les publics, en effet pour vraiment apprecier toute la richesse de cette oeuvre proteiforme il faut je pense un minimum d'experience, et ca n'est sans doute pas a 18 ans qu'on peut apprecier un tel ouvrage. D'apres ce que j'ai lu, Casterman aurait obtenu les droits europeens, esperons qu'ils feront un boulot digne de l'edition US sur ce livre, car vraiment ce serait un crime que d'en denaturer la forme. Bonne nouvelle, je pense franchement que le livre, bien traduit gardera toute sa force, de ce cote la ca a l'air vraiment jouable, ce qui n'est pas toujours le cas. En attendant n'hesitez pas a vous le procurer en anglais, vous ne le regretterez pas !

Pour illustrer mon propos et avoir une meilleure idee du contenu au moins sur le plan graphique : http://images.google.com/images?hl=fr&q=asterios+polyp&sourceid=navclient-ff&rlz=1B3GGGL_frFR253FR253&um=1&ie=UTF-8&ei=VxOJS86UDMXH4gaA-pG0Dw&sa=X&oi=image_result_group&ct=title&resnum=4&ved=0CC0QsAQwAw