Ménil'décor, de Romain Multier et Gilles Tévessin

Prêts pour une ballade bidimensionnelle ? Dans l'espace ( des rues de Belleville, XXème, est parisien, quartier "populaire" ), dans le temps ( des années 50 à aujourd'hui ) ;  notre guide s'appelle Jean, et nous croiserons aussi Hugues, Youssef et Titi. Ces quatre-là sont attachés viscéralement à leur quartier et nous livrent leurs souvenirs, leurs anecdotes, nous présentent leurs voisins, leur quotidien.

Jean est à la retraite, tranquille, après une vie à trimer comme un diable ; Youssef a découvert à huit ans la douceur des goûters chez Monique, une prostituée au grand cœur ; Hugues a fui la ruralité de son Ch'nord natal pour vivre plus sereinement son homosexualité ; Titi a tutoyé la came et s'en sort mieux que Loulou. Je ne résiste d'ailleurs pas au plaisir de citer le portrait qu'il en fait : " aujourd’hui, il est tout déplumé, il a gardé son perfecto et n'a plus une ratiche ! Quand il remonte ses manches, épaisses comme ses doigts, on voit ses tatouages qui lui font comme une bande dessinée sur la peau". Pensez-vous comme moi l'avoir déjà croisé ? ( ou si ce n'est lui, c'est donc son frère )

J'ai pris un très grand plaisir à parcourir ces pages, tout autant portée par l'émotion du texte que par les dessins hallucinants de Gilles Tévessin : une mention spéciale pour son trait si simple et si précis à la fois. Il peut paraître naïf ou inabouti, mais je le trouve incroyable de justesse et d'expression : j'a-dore !

Entre extrême justesse et sensibilité, voici un album tout en finesse qu'il faut prendre le temps de parcourir. Pas de cavalcade, une marche au pas de Jean, l'oreille au passé et l’œil au présent.

En ces temps où le "vivre ensemble" devient une urgence, ce voyage un tantinet mélancolique est salutaire : une bonne bouffée d'air parisien pour les auvergnats que nous sommes !

J'ai été très séduit par le dessin. L'utilisation des couleurs, les expressions des personnages sont très justes.
La déambulation est agréable, légère, mais un peu creuse, je trouve. On sent le plaisir pris par l'auteur à dessiner son quartier mais la promenade est parfois un peu longue, le dessin peinant à porter seul le livre. On se rapproche alors du carnet de voyage, beau, illustratif, énumératif.

Dans Zones, Jean Rolin explorait Paris, se laissant porter au hasard des rues. Il y développait une esthétique urbaine, détaillant les voies empruntés puis s'attardaient sur les gens souvent inconnus, rapportant les discussions, les faits et les gestes. Cette distance objective, comparable à celle de l'ethnologue, mais non dépourvue de poésie, parvient finalement à me toucher davantage que celle de Multier et Tévessin, trop proches de leurs personnages principaux pour arriver à nous faire "sentir" le quartier.

Très coloré (diable pourquoi ce ciel rose) et marqué par le bonheur de ce monsieur, la couverture attire d'emblée en ce début Mars, comme un air de printemps qui arrive après un hiver que nous voulons tous ranger au placard.
La carte de Paris nous mets dans le bain tout de suite, on sait que nous allons nous immerger dans la capitale, dans le XXème, à Menil' plus précisément.

Pourtant au fil des pages, l'impression devient assez différente, les personnages prennent le dessus sur le décor, et si le quartier reste toujours en fond de propos, j'ai le sentiment que l'histoire dans son traitement dérive un peu de l'idée de base, les personnages sont forts en charisme, j'ai l'impression de regarder un reportage TV sur les habitants d'un quartier, un bon reportage certes, mais pas quelque chose que j'attends d'une BD, qui se veut au bout du compte inégale dans la qualité.
Ôter les dialogues des bulles pourrait être une bonne idée, néanmoins cela nuit à mon sens à la fluidité de la lecture et il faut s'y reprendre à deux fois pour bien saisir à qui appartiennent les paroles.

Au final, je dirai, un album recommandable pour les amateurs de Jeunet et d'Amélie (ça y est c'est dit), des belles couleurs et des parisiens nostalgiques du bon vieux temps.

Les auteurs ont repérés la belle chronique de Naphta, ça se passe sur Facebook :

https://www.facebook.com/menildecor?fref=ts

Une chronique assez intéressante, sans surprise on découvre que tout est vrai :

http://le75020.fr/paris-XXe-75020-20e-arrondissement/culture/67423-menildecor-bd-dont-menimontant-heros.paris-75020-info#.VQVf4Y7B-Sp

Je n'ai pas vraiment compris où les auteurs voulaient en venir, quelle était la teneur du sujet, et à quel niveau se situaient les enjeux narratifs...

Je ne sais pas moi... faut leur demander !
Peut-être juste montrer ce qui fut, ce qui est, et bientôt ne sera plus ?
Offrir une parenthèse un brin nostalgique à qui veut bien prendre le temps de flâner ?

hommes pressés, ces chemins ne sont pas pour vous !

C'est surtout que j'ai trouvé ça pas bien intéressant...

En plus du peu d’intérêt d'une grande partie des planches, j'avoue avoir été terriblement dérangé par ce graphisme bizarre. On a l'impression de photos passées par un mauvais filtre photoshop des années 90 qui transforme ça en dessin, sur lesquelles on aurait rajouté des personnages. Je n'ai pas supporté et je ne suis pas arrivé à lire correctement ce livre à cause de ça.

Le graphisme ne m'a pas dérangé mais pour le reste, je ne comprends vraiment pas où les auteurs veulent en venir. J'aime les déambulations de l'Homme qui marche, elles nous proposent un moment de contemplation. En revanche, lors de cette lecture, je n'y ai trouvé que de la vacuité.
Je comprends le parallèle qui est fait avec Amélie Poulain que je n'aime que très moyennement soit dit en passant, mais il ne me semble pas juste du tout. Un heureux hasard veut qu'il soit repassé très récemment dans la boite noire et j'en ai profité pour le revoir. Je n'ai pas changé mon avis général sur le film qui me semble insupportablement gentillet mais c'est formellement remarquable, plein d'idées dans la réalisation, de bons mots et j'en passe. Et c'est sur ces points là que le livre échoue à mon avis.
Certainement pas une mes meilleures lectures ce mois-ci.