A la dérive, de Xavier Coste
J'attendais avec impatience le nouvel album de Xavier Coste, que j'ai découvert avec « Egon Schiele » et qui a aussi réalisé une BD sur Rimbaud.
Ici, on s'éloigne des biographies, même si le personnage principal, Eddie, est inspiré d'un gangster des années 1900. Celui-ci a été condamné au bagne pour avoir attaqué la banque American express en 1903. Dans le livre de Coste, l'histoire est transposée quelques années plus tard, en 1910, dans un Paris noyé par une crue centennale.
La première partie de l'histoire montre comment le personnage principal, gentil américain un peu paumé, beau gosse, joueur, et endetté, est poussé à trouver rapidement une forte somme d'argent pour rembourser ses débiteurs aux manières violentes. Sa compagne, Agatha, accompagne sa dérive, d'abord en se prostituant pour l'aider à combler sa dette de jeu, puis en participant au hold-up qu'il imagine. Eddie recrute 3 hommes de main pour dévaliser l'American Express, alors que la vie parisienne est immobilisée par les inondations.
Comme on pouvait s'y attendre, les choses tournent mal et Eddie est arrêté juste avant de rejoindre Londres. Condamné au bagne à perpétuité, il a le soulagement d'avoir réussi à faire s'échapper Agatha, avec l'argent...
Une deuxième partie commence : le quotidien étouffant des travaux forcés, l'abandon d'Agatha et l'évasion.
Xavier Coste délaisse le dessin au stylet graphique pour se tourner vers la peinture et le pastel – et le travail d'illustration de cet album est vraiment magnifique (ah, la double page aux pieds de la Tour Eiffel baignant dans les eaux – une pure merveille !), avec une palette de bleus extraordinaires, des traces de pinceaux, l'inclusion de vignettes très art-déco. Chaque page est inattendue – surtout par rapport à l'unité de dessin contenue dans Egon Schiele.
« A la dérive » … l'eau est présente tout le long de l'album – la Seine devenue lagune avec ses passerelles et ses gondoles improvisées ; l'Océan où naviguent les évadés, fantômes attaqués par les requins... L'eau qui emporte dans son courant un Eddie qui n'aura fait que subir : il monte le bracage pour éviter la mise à mort par ses débiteurs ; il prépare une évasion sous la menace d'autres condamnés ; il s'enfuit d'une île où ils ont trouvés refuge pour ne pas être torturé... Toute sa vie lui échappe et part à la dérive ; même son amour, Agatha, qui choisit de s'acheter une nouvelle existence avec l'argent qu'il a volé.
L'album se termine sur une fin ouverte : l'embarcation de fortune d'Eddie éclaboussée par la vague d'un immense paquebot. « J'arrive. Tout sera comme avant. » Personnellement, j'ai pensé que tout s'arrêtait là, dernière note d'absurde dans le naufrage de sa vie. (En fait, le personnage qui a inspiré Coste a réussi à rejoindre Londres, à retrouver sa maîtresse … qui a essayé de l'assassiner ! Il a fini sa vie dans une grande pauvreté).
Malgré sa grande beauté graphique, je garderai de cet album une impression de distance – beaucoup de points sont impeccablement maîtrisés, l'illustration, la trame narrative, l'originalité du sujet– et pourtant il me manque du sentiment, de l'attachement à ses personnages. Après relecture, il me semble que le travail autour de la relation amoureuse du couple n'a pas été assez poussé – le livre débute à un moment où Agatha se prostitue déjà pour éponger les dettes de jeux d'Eddie, mais dans un détachement étonnant. On ne ressent pas assez une relation passionnelle/dépendante entre eux, qui permet d'expliquer à la fois les sacrifices de la jeune femme et aussi la volonté d'Eddie de la rejoindre, quitte à traverser l'Océan en radeau...
Xavier Coste n'a que 25 ans et a déjà réalisé (au moins) 2 albums de grandes qualité. Je pense qu'il faudra compter sur lui dans les années qui viennent. Et la lecture de « A la dérive » reste un moment de qualité.