Feu de Paille, d'Adrien Demont

Joseph, sa femme et leur fils Pierre reviennent s'installer dans la vieille maison familiale.
Joseph a subi une greffe du coeur et ce retour aux sources s'annonce pour tous les trois comme un nouveau départ.
Seulement, le paysage a changé : une centrale nucléaire barre le paysage, les routes ont remplacé les champs. C'est un « foutu cyborg » qui à présent, distribue le courrier et le journal.
D'inquiétants phénomènes agitent la région : des cris surgissent dans la nuit faisant aboyer les chiens, un homme-épouvantail terroriserait les habitants. Très vite, Pierre fréquente les enfants du voisinage qui lui confirment cette étrange présence dans les environs. Joseph replonge dans son enfance, se remémore ses escapades avec ses copains et l'étrange Hugo, toujours prompt à inventer mille histoires pour faire peur.
Les nuits s'interrompent souvent à cause de bruits inquiétants. Un matin, un épouvantail se retrouve sur le toit de la maison...
Peut-être est-il temps pour Joseph, de retrouver Hugo qui, peu à peu, était devenu acariâtre et solitaire.


Ce n'est pas la peur que suscite l'histoire de Demont. Ici, le mal n'est pas identifié ou incarné. C'est plutôt l'angoisse, lentement distillée dans le récit qui s'impose au fil des pages. Le quotidien s’ébrèche, se fend : quelques situations, quelques images sèment le trouble. Une maison envahie par les papillons, un vieux chien qui ne peut se déplacer sans sa niche, une silhouette longiligne qui traverse un champ, les terreurs nocturnes de Joseph, le sentiment d'une présence invisible dans les champs de maïs, des lumières vives qui trouent la nuit : tout concourt  à rendre l'atmosphère  de plus en plus étrange et pesante.
Une présence extra-terrestre est-elle possible, une porte vers un autre monde a-t-elle été ouverte, faisant basculer le quotidien dans le fantastique ? Tout laisser croire que bon nombre de phénomènes inexpliqués ne peuvent être causés par un homme...
(On pense par exemple à Signes de Shyamalan, histoire se développant autour d'étranges formes laissées dans les champs de blé par des extra-terrestres)

Lentement, Demont embarque le lecteur derrière ses personnages aux silhouettes dégingandées dans un récit fluide et bien construit. Les souvenirs de Joseph répondent aux rencontres de Pierre et ses amis, tissant un mystère dont il faudra bien sûr chercher les origines dans l'enfance du père.

Une lecture attachante et un auteur à suivre, sans doute.

PS : j'ai vite enlevé ce vilain t qui n'avait rien à faire à la fin du participe passé du verbe subir... J'espère qu'on ne me tirera pas les oreilles...

très belle couverture !

C'est vrai que la couverture est superbe et j'aime aussi beaucoup le format de ce livre. Chez "Six pieds sous terre", décidément, c'est toujours bien !
Ce que j'ai beaucoup aimé, dans cet album, c'est qu'il y a plusieurs niveaux de lectures, représentés chaque fois par un groupe de 3 enfants.
D'abord 3 enfants qui font le prologue et l'épilogue de l'histoire, dans une nuit sombre et inquiétante, et qui introduisent l'histoire principale - on peut comprendre qu'ils sont dans un temps proche du présent.
Puis le groupe que forme Pierre (le fils du personnage principal, Jospeh) et deux enfants du village - ceux-ci l'initient aux mystères environnants et tous les 3 se complaient dans les histoires qui font peur.
Et enfin le groupe que formaient Joseph et ses copains, quand ils étaient enfants, au même endroit, et qui, déjà, s'amusaient à se faire peur.
Et l'histoire navigue entre ces 3 époques et ces 3 groupes - avec pour point commun la légèreté de l'enfance qui trouve son plaisir dans l'effroi. Les personnages évoquent beaucoup le plaisir de raconter des histoires effrayantes, à la Stephen King, ou comme dans "Au-delà du réel" (évoqué à un moment).
Et le point commun à ces 3 strates du temps, c'est Joseph. Mais, devenu adulte (en plus un adulte rafistolé, un "foutu cyborg", avec un coeur de robot), il semble être un élément perturbateur, qui destabilise et réveille les angoisses - il court dans la nuit après ses aventures d'enfants mais avec sa rationnalité d'adulte et finalement, on dirait que c'est lui qui crée le désordre qui gagne le village - jusqu'à la tragédie.
Le dessin est fourmillant, fait de contrastes de noirs et blancs. Tout est tordu, plié, ondulé, hirsute, et donne une impression de mouvance, comme une vague qui cache puis remet à nu en se retirant, avant de recouvrir de nouveau.
Un bien bel album !

Graphiquement, je trouve cet album étincelant, beaucoup de légèreté, de finesse, de contraste et d'expressivité dans le noir & blanc d'Adrien Demont, magnifique. Côté histoire et développement , mon dieu que j'ai trouvé cela long et un tantinet répétitif, cet album aurait gagné en concision, dommage cela m'a gâché le plaisir et j'ai terminé en roue libre, totalement décroché par le peloton.

L'album n'est pour moi pas du tout répétitif.
Demont fait se téléscoper l'imaginaire enfantin, débridé, le goût pour les histoires qui font peur et le monde adulte, matériel, pragmatique, technologique. De ce conflit, surgissent des événements où le fantastique n'est jamais loin. Petit à petit, le doute et l'angoisse s'installent, Demont faisant preuve de beaucoup de maîtrise pour délivrer les images qui troublent (les papillons, le chien-niche, la paille qui envahit les espaces...). La "lenteur" sert plutôt le propos.

Si je devais classer ce livre dans une catégorie, je dirais que c'est une BD d'ambiance. Heureusement, personne ne me le demande car c'est un livre plutôt difficile à cerner tant il pose de questions sans apporter de réponses. Par exemple, pourquoi y a-t-il ces cyborgs que tous le monde semble détester ? Aussi, pourquoi notre bon Joseph est-il si perturbé ? Est-ce son cœur ou son cerveau qui le pousse dans ses délires ? Est-ce vraiment des délires d'ailleurs ?
Bref, tout cela n'est pas clair et dessert le propos en perdant un peu le lecteur. Effectivement, je n'ai pas trouvé cela répétitif mais plutôt circulaire tellement ça tourne en rond, surtout sur la fin. Bref, une lecture pas désagréable mais qui ne laissera pas un souvenir impérissable.

Joseph est devenu un homme-machine qui peine à trouver le sommeil, dont la compréhension du réel se trouve altérée. Le monde moderne et la technologie des robots-machines (celui d'un Jospeh adulte) provoquent un malaise, une tension voire une angoisse, en s'opposant au monde de l'enfance (celui d'un Joseph jeune) où s'impose l'imaginaire et les histoires à faire peur.

eraserhead a écrit:

très belle couverture !

Oui, elle reprend la plus belle case du livre, en tout cas une des plus signifiante graphiquement. Pour le reste, le dessin ne m'a guère convaincu, mais j'imagine qu'il s'agit d'une approche toute personnelle vis-à-vis d'un choix assumé par l'auteur…
Le livre m'a laissé perplexe. Autant le sujet est touchant et bien pensé, autant le développement m'a un peu ennuyé, sinon agacé. Pourquoi tant de pages ? Pourquoi tant de flash-back ? On sent bien venir le truc, ce n'est peut-être pas la peine de trop insister. Mais la qualité poétique permet d'oublier un peu ces défauts que je souligne et qui auraient sans doute pu être gommés grâce à des coupes franches.
Superphane a raison : un auteur à suivre.

Ce bel ouvrage fait vivre la forêt et ses mystères. Le vent dans les branches sort des cases pour nous cingler le visage, les feuilles des champs nous chatouillent les chevilles, et les insectes sont présents autour de nous.
Il plonge dans un village, avec ses personnages remarquables, ses histoires loufoques et ses vieux drames.
On peut vivre ce récit à travers les enfants, le père, les villageois : chacun choisira spontanément sa porte d'entrée.
L'épaisseur ne m'a pas gêné, et contribue à l'immersion dans ce cadre paradoxalement restreint (il y a de grands arbres, des champs immenses et on tourne en rond !).
Mais malgré toutes ces qualités, je n'ai pas été emporté, sans pouvoir dire pourquoi.
A suivre...

Nicolas Tellop, auteur d'un blog passionnant ( http://loeilprivebd.blogspot.fr/ ), propose sur le site de Chronicart une analyse complète et riche de Feu de Paille... de quoi pousser tous les sceptiques à le relire !!!

http://www.chronicart.com/bandes-dessinees/adrien-demont-feu-de-paille/

J'ai beaucoup apprécié cette bd que j'ai lue très rapidement (bon signe ?).
Je trouve l'univers magnifiquement étrange, avec une suspension dans le dessin à l'image d'esprits flottants ...
Les personnages sont esquissés avec finesse et l'histoire me rappelle une nouvelle de Stephen King : "Les enfants du maïs" (première allusion à Stephen King : Feufollet).
Le noir et blanc contribue à l'effet "suspens", effet qui s'amplifie au fur et à mesure.
Le scénario est bien ficelé avec quelques surprises, et nous plonge dans les méandres de l'imaginaire des enfants comme des adultes.
C'est sombre mais c'est aussi drôle : situations cocasses, visages "géométriques" qui donnent une allure très particulière aux personnages ... On dirait un dessin animé à l'humour noir !
Bref, j'ai trouvé cette bd démente !!!

Je rejoins les avis de Joco et de Fred, le traitement de l’histoire m’a paru beaucoup trop redondant, et au final je n'ai pas trouvé de réponses aux mystères qui hantent les lieux de l’enfance de Joseph ainsi que son esprit. Certes l’auteur réussit à créer une ambiance, pour le reste, scénario, style du dessin, et même écriture, cela m’ a semblé assez immature.

Nico, je ne crois pas avoir eu peur en lisant un BD - mais par contre, j'ai parfois ressenti une angoisse allant jusqu'à la nausée : en lisant From Hell, et après un abus de Walking Dead (c'était pas une bonne idée de vouloir tout lire d'un coup depuis le début ! Depuis, je les lis par morceaux - sanglants bien entendus !).
Mais bon, je suis plutôt sensible comme fille.
C'est vrai que contrairement aux romans, je ressens moins souvent des sentiments très extrêmes (peur, larmes, de joie ou de tristesse) dans une BD - perception personnelle ou c'est commun à d'autres ? Par contre, quand ça arrive, je me trouve toute bizarre de chialer avec une BD dans les mains (genre à la lecture de "Un ciel radieux" de Taniguchi... )

J'avoue avoir eu une peur bleue...

idem ! J'en ai rêvé !
C'est une peur enfantine.

Pas grand chose à rajouter, j'ai relu le livre (ce qui explique le retard sur les autres lectures mais peu importe) et il aurait pu être bon, très bon même mais il n'est en effet pas abouti et c'est bien dommage !
Auteur à suivre malgré cela !

Quant à avoir peur en lisant une bd, je ne pense pas que ça me soit arrivé durant une lecture même si mes rêves en ont peut-être été imprégnés parfois.

Ca a l'air bien (mais rude) Ines, merci du conseil Naphtalene. 
Ah oui From Hell et les Septs boules de cristal c'était quand même flippant !

Peut être que Burns m'a foutu un peu les jetons, et qu'a chaque fois que je lis Jimi Corrigan j'ai l'impression que toutes existences est vouées à l'échec… et ça, ça fait peur !

Le malaise, la tristesse, la mélancolie, le doute existentielle, les mains moites, la larme à l'oeil… ça m'est arrivé plus d'une fois en lisant une BD. Et récemment j'ai découvert qu'on pouvait avoir mal en lisant un album, mais faudra que je vous en reparle de "Quand vous pensiez que j'étais mort" 

Complètement en phase avec Fred et Manue..

voilà bien longtemps que je n'ai pas eu peur en lisant une bande dessinée ! Oui, Les Sept Boules de Cristal, mais l'événement est teinté d'une couleur sépia de feuilleton qui en atténue un peu l'horreur. En revanche, j'ai eu vraiment super peur en lisant


8e épisode de la série, et album décroché (comme le 7e, d'ailleurs, compilation d'histoires brèves), Alinoé commence par le départ du père, laissant seuls sur leur île Aaricia et Jolan. Seuls ? Jolan va découvrir un drôle de compagnon en la personne d'Alinoé.
Une belle tension qui n'est pas sans rappeler par certains aspects les thèmes de Shining, que j'avais dû lire à peu près au même âge.



Si vous n'avez jamais lu Thorgal, essayez au moins celui-là !

Oh oui, c'est vrai qu'il est bien flippant, cet épisode de Thorgal. Il est presque une parenthèse dans la série. Ca me donne envie de relire l'ensemble, tiens.

Retour en enfance dans cette vieille maison trop longtemps abandonnée, Adrien Demont réussit à créer un monde d’angoisses avec ces paysages sombres, très sombres, le souffle du vent dans les champs de maïs, les chuchotements mystérieux des villageois, les longs silences d’été. Nous retournons nous même en enfance avec cette peur viscérale, celle du « boogeyman » (avec une référence notable à Candyman) et de la nuit où le dessin, parfois esquisse, crée des formes mystérieuses pour vite disparaître au plus profond des bois.

Pour ma part, je pense qu’un parallèle plus présent entre l’histoire de Joseph et celle que vie son fils aurait donné plus de consistance à cet œuvre. L’histoire se répéterait elle encore ? Le regard de son fils lui rappellerait-il le souvenir d’une enfance perdue ?

Petite interview d'Adrien Demont.

http://www.happen.fr/articles/news/feu-de-paille-d-adrien-demont-aux-editions-6-pieds-sous-terre-7893.html

Merci, Archi, pour cette interview très éclairante qui montre bien que l'auteur est passé à côté de son sujet par manque de méthode. Vu comme il explique la construction du livre, on comprend mieux les longueurs qui nuisent tellement au propos !