A partir de 1492, l'Europe entre officiellement dans la Renaissance, ainsi pompeusement nommée en opposition avec l'obscurantisme prétendu de la période médiévale qui la précède. A force de grands bouleversements des arts, des cultures, des sciences, de la politique et du génie humain plus généralement, l'histoire moderne a inventé une Renaissance, qui ne correspond pas nécessairement à ce que l'on en attend.
La réalité des sources historiques est souvent bien éloigné de celle laissée à la postérité, et le nom des Borgia en est l'illustration.
Tels les noms de Léonard de Vinci ou Michel-Ange parlent au grand public et inondent l'esprit des peuples d'images flamboyantes, celui des Borgia fut teinté d’opprobre à justes ou mauvaises torts. Tel Niccolo Machiavel dont la mémoire et l’œuvre auront été trainés dans la boue des siècles durant, et dont le nom aujourd'hui encore demeure terriblement péjoratif, l'histoire de la famille Borgia est également complexe et procède d'une analyse à la fois de ses portraits psychologiques que de son époque.
C'est ainsi que Fuyumi Soryo nous livre sa lecture des évènements, soutenue dans son propos et sa démarche pas Motoaki Hara-sensei, universitaire spécialisé dans l'Italie de la Renaissance. Le sujet est ô combien délicat à aborder, si on mesure à quel point personnage historique d'envergure fut décrié, vilipendé et critiqué que Cesare Borgia.
Mais dans les faits comme dans les études historiques les plus récentes, il existe bien plus d'incertitudes à sa biographie que de faits avérés et assumés par la communauté scientifique.
Cesare Borgia, l'homme dont on ignore précisément les dates précises de naissance ou de mort, ou encore les circonstances précises de cette dernière. Cesare Borgia, le fils spirituel de Machiavel et Christophe Colomb, a presque réussi où quatorze siècles d'histoire avaient échoué, et qui en nécessiteraient encore cinq de plus, pour voir l'Italie réunifiée depuis la chute de l'Empire Romain.
Cesare Borgia, le cardinal défroqué, qui aurait possédé la superbe Lucrèce, sa sœur, qui aurait renié ses vœux au profit des forces temporelles de la politique, et même fait trembler le collège de la Curie et les fondements du catholicisme avec ces projets de réformes...
C'est donc avec la volonté de revenir sur tous les points controversés de son histoire selon une méthode rigoureuse, mais également une démarche profondément humaine, que la mangaka nous livre ici sa vision d'un personnage et d'une époque pas piquée des vers.
De plus, il faut ajouter un note d'intérêt supplémentaire, puisque le manga Cesare nous permet également de découvrir le regard que les japonais sur l’histoire et la culture européenne.
Tout commence à Pise, cité universitaire d'envergure, nous découvrons pourtant une bourgade certes urbanisée mais si minuscule q'on douterait presque, qu'elle put être qualifiée de ville, et encore moins qu'elle put être la splendide cité de Pise! Pourtant c'est bien là une reconstitution fidèle de ces cités italiennes au commerce prospère, mais qui dissimulent néanmoins de véritables bourbier diplomatique!
Entre chamailleries d’archevêchés, conflits sociaux-religieux et enjeux économiques et diplomatiques, Pise, comme ses voisines, Florence et Rome est le réceptacle des tensions de son époque. C'est là-bas que son éminence Rodrigo Borgia, prétendant à la tiare papale, a choisi d'envoyer son fils cadet Cesare...
La nature subtile et sensible de ce jeune homme d'à peine seize ans, ainsi que son intelligence vont dés lors permettre aux Borgias de s'inscrire dans la Grande Histoire!
A travers ces visions du quotidien c'est donc un double portrait croisé que Soyro-san nous livre, à la fois sur le personnage de Cesare Borgia, mélange étrange de naïveté et d’implacabilité, à la fois sur les contrastes violents et humanistes de cette époque charnière et ô combien révélatrice!
Le trait de Fuyumi Soryo est indéniablement mature et maitrisé. dans la grande tradition des mangas seinen, à large connotation historique, la part laissée à une reconstitution quasi photographique des décors et des ambiances, est absolument superbe! Mais la mangaka se distingue aussi et surtout par la gestion de son rythme et l'alliance entre la finesse de son trait et la narration qui ainsi ne se révèle qu'au compte-goutte, comme on soulève lentement les jupons de dentelles que constitue les mystères de l'Histoire...
Je vous laisse juge...