Dans l'Allemagne du début du XXe siècle, le pensionnat de Scholtzerberg accueille et veille à l'éducation d'une communauté de jeunes garçons de bonne famille. Mais le quotidien de tous est bouleversé par la mort aussi soudaine qu'imprévisible de Thomas, un jeune homme de 14 ans, un matin avec les dernières neiges de l'hiver.
Julusmole, dit Juli, élève modèle, délégué exemplaire au caractère sombre et sobre à la fois, retrouve une lettre du défunt qui lui ai adressé...
Malgré le printemps et l’insouciance qui n'appartient qu'à la jeunesse, Juli se perd dans les abimes de sa conscience tourmentée et c'est son ami, le fougueux Oscar qui veille après lui et demeure le seul à le comprendre...
Le quotidien précaire de Juli va basculer avec l'arrivée d'un nouvel élève, Eric, dont le visage rappelle effroyablement celui de Thomas...
Moto Hagio signe ici une œuvre sublime du haut de ces 494 pages sur les troubles et les émois déchirants de l'adolescence. Connue pour être la première œuvre de Boy's love, ce manga publié en trois tomes à l'origine, se distingue par l'intelligence du propos et l'amère empathie dont elle fait preuve.
Il n'y a finalement pas grand chose de commun entre "Le coeur de Thomas" et les actuelles créations Yaoi et Shonen Ai, puisqu'il n'y a aucun postulat en, faveur de l'homosexualité affirmée. Les personnages sont réunis autour du sentiment amoureux à la fois unique et universelle, ne souffrant aucune distinction de genre. C'est une œuvre initiatique que ce soit dans sa dimension exclusivement masculine que dans la découverte des affres de l'amour pour nos héros.
On vibre, on frissonne, on s'émeut, on se trouble et on se perd dans la/les confusions qui accablent et transcendent ces personnages plein de vie et de jeunesse.
A l'image de cette étude autour du sentiments, le graphisme comme l'écriture sont d'une fluidité exemplaire.
Le dessin de Moto Hagio se trouve à la croisée des chemins. La mangaka n'hésite pas à superposer les effets de rythme, de mouvement, d'humour caractéristique du Gegika avec les codes naissants du shojo à grand renfort de mèches bouclés et d'yeux immenses, scintillants de larme... Inutile néanmoins de s'alarmer, il ne faudrait pas confondre l'excellence du trait de la mangaka avec la production 80's-90's qui vire très vite à l'indigestion. Au contraire, à l'image du magnifique "La Rose de Versailles", ce style tout en rondeur connait ses heures de gloire et peut même révéler la force délicate que possède le genre.
Le cœur de Thomas est une histoire déchirante, le gouffre qui s'insinue en chacun à l'aube de sentiment contradictoire et naissant entre amour, désir, répulsion et jalousie. C'est également un manga qui offre le portrait complexe d'une époque et d'une Europe en pleine montée des nationalismes, apogée des distinctions sociales qui éloignent d'autant plus les individus des autres, alors même que le souvenir omniprésent du romantisme du siècle dernier poursuit chacun.
Les paradoxes sont au cœur de Thomas, au cœur des personnages qui vont tout faire pour comprendre ce poème oublié dans un exemplaire poussiéreux de "Renaissance et Humanisme"...
"En six mois, j'ai beaucoup réfléchi.
A ma vie, à ma mort, à un ami aussi.
Je ne suis qu'un enfant un peu plus mûr que les autres, je le sais.
Et je sais bien que cet amour d'enfance va se heurter
à quelque chose d'inconnu.
Quelque chose qui n'a pas de sexe, invisible.
Non, ce n'est pas un simple pari.
Et ce n'est pas mon sentiment pour lui qui est en jeu.
Mais je ferais en sorte que lui ne puisse que m'aimer,
Forcément.
L'homme meurt deux fois, dit-on.
La première quand son corps meurt,
La seconde quand ses amis l'ont oublié.
Moi, je n'aurais pas cette deuxième mort.
Il ne m'oubliera jamais, même après sa propre mort.
Je vivrai éternellement,
Dans ses yeux."