Je viens de lire Les Invisibles et je suis très impressionné. Pour un premier ouvrage, Jean Harambat nous offre un document fort, une histoire vraie, de celles qui ont fait l'Histoire d'un pays. Tout en restant très proche de ses personnages, c'est toute une époque qu'il nous raconte.
Bien que je ne goutte guère à ce dessin, il faut admettre qu'il correspond parfaitement avec le récit et la période qu'il évoque. Il est trouble et rude comme les personnages qu'il anime. A la fois simple et compliqué, avec une économie de petits traits qui forment une image pleine de bon sens. Chaque case est une mise en perspective.
Dans la première partie, les faits d'armes sont, le plus souvent, évoqués dans les dialogues alors que les dessins nous montrent le travail des paysans. Dans cet antagonisme, les vendanges, les labours et les moissons donnent tout son sens au récit qui, lui, tourne autour de la guerre, des combats et des embuscades. Seul un duel est représenté. Aux scènes où l'on parle de conflits et de batailles, succèdent les images de la maison d'Audijos et le travail des champs, comme pour justifier ces luttes. Les jours, les mois, les années se succèdent, une saison après l'autre, suivant les activités des paysans. Le récit se déroule. La guerre fait rage puis prend fin.
Ensuite, l'auteur reprend le même récit, mais le point de vue change. On est, cette fois, au cœur des violences avec pour guide une jeune fille innocente et fragile. Le contrepied continu, tout en opposition, pour mieux appuyer le propos. Cette fois, les combats sont longuement dessinés. Le sang gicle. Les coups de feu font mouche. Même le duel est plus violent. Le dessin, tout en mouvement, illustre alors le désordre de la bataille. Une seule image de notre guide, jeune adolescente terrorisée, suffit à donner toute sa mesure à l'horreur de la scène. Et c'est le jeu de la séduction qui vient à nouveau souligner l'issue morbide du combat. Amour et haine se succèdent alors. L'horreur de la guerre mise en lumière par la force des sentiments amoureux. Puis, le colporteur anime la fin du récit, de gibets en exécutions, pour finir avec le ralliement des insurgés.
Dans le troisième point de vue, l'acte de guerre est héroïque. Le chevalier se couvre de gloire et rentre victorieux. Mais le fête est interrompu par la troupe. Les exactions des soldats poussent le héros à reprendre les armes pour défendre les siens. Et le rituel du duel peut reprendre. Les rencontres amoureuses du héros rythment les récits de ces exploits dans la bouche des autres. Le colporteur, le père, ses compagnons nous racontent l'histoire. Et de romantique, l'épopée bascule dans le tragique. Ici, ce va et vient fait dérivé le récit vers sa triste fin.
Tout le génie de cet ouvrage se trouve dans ses rythmes, dans ses incessants contrepoint « comme la fleur que le vent balance », ainsi que dans cette division par trois. Trois visions de trois femmes qui racontent la vie d'un seul homme, le fils, le frère et le mari. Chacune complétant le récit de l'autre, elles ne seront unis que dans la mort. Mais on le sait depuis le début.