D’emblée le ton est donné, le lecteur ou la lectrice est harponné(e) par un titre interrogateur aussi radical que provocateur soulevant de nombreuses autres questions dont une, fondamentale : une femme peut-elle aujourd’hui décider librement ne pas enfanter sans provoquer de l’incompréhension ?
La réponse se dessinera au gré des déambulations et rencontres du personnage principal, jeune femme farouchement décidée à en découdre avec les diktats imposés par les différents corps composant notre société…
Corps humain d’abord, féminin, imposant ses règles, processus mens(tr)uel vécu comme un supplice par notre protagoniste et non comme la promesse d’un heureux événement à venir. Corps médical, plus enclin à promouvoir et à contrôler un élan procréateur qu’à le freiner .Corps médiatique toujours prompt à propager une politique nataliste défendue par l’Etat et à diffuser une propagande mercantile. Corps social, amis et parasites se mêlant, chacun y allant de son bon conseil sans se soucier des choix de l’intéressée. Corps familial enfin, cellule initiale bien décidée à prolonger sa lignée …
Seule bulle de résistance : le couple uni dans ce choix, cohérent, soucieux de son équilibre et de son bonheur.
Orianne Lassus nous délivre ici une vision crue, lucide mais drôle de notre société, toujours plus soucieuse d’imposer des schémas normatifs. Elle ose dénoncer tous les poncifs liés à la maternité, instinct maternel et promesse d’un bonheur idéal en tête, mais aussi les travers d’une économie capitaliste à la fois dépendante et génératrice du phénomène, à ce titre, l’épisode du magasin de jouets est assez magique.
Son trait anguleux traduit parfaitement cette vision tout en rupture, les cases sont éclatées, les fonds noirs et blancs scindant le récit en tranches tantôt réalistes, tantôt grotesques, un petit intermède spécial accouchement, malicieusement teinté de rose (avec possibilité de colorier en blanc les têtes déconfites des futurs papas) ainsi qu’un mini livret surprise nous font découvrir les joies de la procréation. J’en profite pour souligner l’attention portée à cette jolie édition dont la remarquable couverture a été sérigraphiée à l’atelier Expérience à Lyon.
Un bien beau travail atypique et couillu si j’ose dire sur un sujet qu’il serait bon d'agiter plus souvent.
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