La Favorite de Matthias Lehmann

Manue a écrit:

(car personellement, je ne m'en fous pas du sujet )

Si cette remarque m'est adressée, note bien que j'ai toujours dit que je me fichais de l'histoire, et que ce qui m'intéressait etait justement le sujet et la manière de le traiter

fabulous a écrit:

Une question : mon cher Fred, tu parles d'innovation, peux-tu nous dire plus s'il te plait ? Je vois et apprécie la maitrise mais pas tellement l'innovation.

Comme il me semblait bizarre d'avoir parlé d'innovation, ta question m'a fait douter et j'ai parcouru rapidement mes posts à droite à gauche. Tout ce que j'ai vu de plus approchant, c'est "originalité" (qui vaut par le sujet et la manière audacieuse de s'en accaparer) mais innovation, à moins de me tromper, non.

Ce qui est peut-être "innovant" c'est le malin plaisir que l'auteur semble avoir pris pour mettre en scène tout ça alors que son sujet est vraiment sordide, il a su s'extraire de la gravité de la situation et ajuster le ton à chacune des situations, ne pas rester dans un style monolithique, c'est sans doute par là qu'il a trouvé une originalité dans son traitement.

Tout à fait ! Ce qui m'a frappée lors de cette lecture (qui date un peu maintenant ) est la distance que l'auteur arrive à instaurer entre la noirceur absolue du propos et la narration qui va jusqu'à être légère ou teintée de drôlerie. C'est d'une grande finesse, d'arriver ainsi à faire ressortir les pulsions de (sur)vie qui animent la petite victime. Le rendu des ambiances est tout aussi virtuose. Nous avons ici un parfait candidat au shériff et on n'est pas sorti du sable ....

fred a écrit:

créer une bande dessinée à partir d'un sujet pervers et de digresser en intégrant une écriture à la fois innovante et respectueuse de l'Histoire de son art.

Juste une précision sur ce point, merci d'avance.

Can a écrit:

Ce qui est peut-être "innovant" c'est le malin plaisir que l'auteur semble avoir pris pour mettre en scène tout ça alors que son sujet est vraiment sordide, il a su s'extraire de la gravité de la situation et ajuster le ton à chacune des situations, ne pas rester dans un style monolithique, c'est sans doute par là qu'il a trouvé une originalité dans son traitement.

Y prendre du plaisir est peut-être innovant mais ne nous concerne encore une fois que très peu. Le traitement qu'il fait de son sujet est remarquable, exceptionnel même mais je ne le trouve pas tellement original. Teulé aussi, d'une autre façon, s'approprie des faits sordides (réels cette fois mais ça n'a pas tellement d'importance) avec distance et même humour parfois.

fred a écrit:

Si cette remarque m'est adressée, note bien que j'ai toujours dit que je me fichais de l'histoire, et que ce qui m'intéressait etait justement le sujet et la manière de le traiter

Non, je ne m'adressais pas à toi particulièrement,  je ne retrouve plus la chronique dans laquelle la question a été abordée mais en cherchant je suis retombée sur une phrase d’ Eraserhead, (concernant le vote de Mars, en réponse à Tue-Loup au sujet de Glenn Gould ) qui dit « Le sujet n'est pas le sujet, le sujet, c'est l'auteur, son oeuvre et l'art. Une oeuvre ne nous parle pas de ce qu'elle nous parle, elle parle au delà. » Certes il faut voir au delà, mais il ne faut pas le nier pour autant, plus que le sujet lui même, le choix du sujet par un auteur a son importance … et dans le cas de la Favorite, j’étais intriguée par ce choix .

fabulous a écrit:

fred a écrit:

créer une bande dessinée à partir d'un sujet pervers et de digresser en intégrant une écriture à la fois innovante et respectueuse de l'Histoire de son art.

Juste une précision sur ce point, merci d'avance.

Bien vu, Fabulous. Je dis tellement de trucs (et plein de conneries, indeed ) que je ne sais même plus exactement en quels termes je les ai dits…
Écriture innovante est sans doute exagéré, originale, particulière , détournée ou d'auteur auraient sans doute mieux convenu.
L'idée, et ça a été souligné dans pas mal de commentaires, c'est de prendre la perversité du sujet à rebours en adoptant un ton décalé et une mise en scène souvent humoristique. L'effet est sensationnel !
Mais je reconnais avoir été un peu loin avec innovant et te remercie de me demander d'apporter cette précision.

On peut imaginer que l'auteur ne met pas de distance entre la noirceur du propos et sa narration.

Je pense qu'il se place dans chaque personnages et décrit l'action qui se déroule. Il est plutôt au cœur de la noirceur.
Finalement, est-ce que les protagonistes se rendent compte de la perversité des situations?
Le grand père oui mais il n'arrive pas à réagir.

Ce n'est pas original, c'est juste une description parfaite. Du coup, on ressent ce qui se passe. On est pas loin du syndrome de Stockholm. Il n'y a pas que de l'horreur dans la grand mère. (voir le passage où elle a besoin d'être réconforter dans son lit)

A travers le regard des enfants, l’auteur livre un récit intrigant et grave (dont je ne voyais pas l’issue), qui nous plonge dans les 70’s avec de succulents clins d’œil.
Quel talent ! J’ai spontanément ressenti le climat historique, la campagne de mon enfance. La maitrise du récit est magistrale.

Une BD (à l'instar de "Carnation") qui met en scène de la Savate est forcément réussie

Le trait est sublime, noir, profond et précis.
La narration fonctionne bien, entre les différents découpages et la fin plus journalistique et explicative.

Les enfants ont le pouvoir (salutaire et indispensable!!!) de supporter l'insupportable, dont la plupart des adultes ne sauraient plus éprouver.
Peut-être le ton décalé de l'auteur est aussi issu de ce constat.
L'alternance entre noirceur, violence, caricature et drôlerie nous emporte dans un récit jubilatoire au doux parfum des années 70.

Une très belle expérience de lecture!

J'ai toujours aimé qu'on me raconte des histoires et celle de La Favorite est particulièrement bien racontée. Ce qu'il faut d'action dans le présent. Ce qu'il faut de révélation, quand il faut, en distillant le malaise au fur et à mesure. La maîtrise narrative est impressionnante et le lecteur suit le rythme de la compréhension de la narratrice.

L'auteur arrive à nous faire passer une histoire dérangeante tranquillement, au travers des yeux d'un enfant pour qui tout ceci est naturel puisque qu'étant la seule chose qu'il n'a jamais connu. Je trouve que le livre est une très grande réussite.