Bon, on pourrait croire que je tente un poisson d'avril avant l'heure : faire une chronique sur une série BD pour enfant, qui a commencé il y a 20 ans, dont le succès chez les moins de 12 ans n'a cessé de croître, et qu'on trouve (comble du vulgaire
) dans les rayons du moindre supermarché ...
Mais non : ma chronique est très sérieuse.
Je suis instit' et chaque année, nous passons quelques semaines à étudier la BD avec mes élèves. La bibliothèque de classe est bien fournie et les "Mélusine" ont leur place et sont beaucoup appréciés (un album de la série est même officiellement adoubé par l'Education Nationale dans LA Liste d'ouvrages à lire avant le collège ! C'est dire ...).
En plus, j'ai 3 filles, aussi BDphiles que leur mère - donc on s'installe en rang d'oignons sur le canapé, et on passe des heures entières à dévorer nos BD. Et je me fais un devoir (et un plaisir aussi !) de lire tout ce qu'elles lisent - parce que franchement, dans la BD dite "jeunesse", il y a de tout et parfois de la vraie daube
(à quand une rubrique consacrée aux sorties jeunesse en BD ?)J'ai donc lu tous les "Mélusine"... jusqu'au dernier, acheté cette semaine. Et qui sera, de l'avis de toutes, le dernier.
Après 20 tomes en commun, le scénariste Gilson a arrêté l'aventure. Le dessinateur Clarke a repris le flambeau - ça s'est déjà vu... Et comme pour "Astérix", il aurait peut-être mieux fallu s'arrêter là.
"Mélusine", pour ceux qui l'ignorent, c'est l'histoire d'une belle, jeune et douée sorcière. Ses aventures se déroulent entre le château où elle fait le ménage pour payer ses études, et son école de sorcellerie. Au fur et à mesure des albums, on a une alternance de gags en une page ou d'épisodes un peu plus longs. Il y a bien sûr plein de personnages secondaires qu'on retrouve à chaque fois - et surtout, il y a Cancrelune, la meilleure amie, moche, maladroite, gaffeuse mais fidèle et avec un grand coeur... un personnage qui a donc pour rôle d'équilibrer la trop grande et parfois agaçante perfection de Mélusine.
Bon, c'est de la BD pour enfant.
En tout cas, c'était le cas jusque là.
Parce que depuis le départ (inexpliqué) de Gilson, Clarke s'est senti poussé des ailes et a commencé à révolutionner le petit monde de Mélusine.
Tome 21 : la jeune fille tombe amoureuse et perd sa virginité.
Tome 22 : la meilleure copine, trop moche, trop nulle, se suicide (un peu dur à digérer pour ma gamine de 7 ans ...).
Tome 23 : Mélusine s'en remet très bien (parce que nous, bêtement, on pensait qu'il y aurait un rebondissement du genre "mais non, en fait, comme on a des pouvoirs magiques, on l'a ramenée à la vie, la copine Candrelune"... mais non, elle est morte et puis c'est tout) et on repart dans une succession de gags, avec une foule de nouveaux personnages secondaires privés d'épaisseur humaine... sans aucun humour ni même parfois sens.
Bref, une dégringolade, un flingage en direct - ou comment mettre à mort un personnage en explosant toute sa cohérence.
Bon, les auteurs sont les maîtres de leur personnage - c'est leur idée, leur dessin, leur travail.
Mais est-ce concevable d'imaginer une nouvel album de "Boule et Bill" où le gamin deviendrait enfin ado, se mettait à fumer des joints et à rouler des pelles tout en envoyant des SMS - et où ses parents divorceraient, juste après avoir fait piquer un Bill impotent ?
Est-ce qu'on peut imaginer que Gaston finisse par se faire virer pour incompétence, et termine en clodo à la rue, shooté à la colle ?
Est-ce que le grand Schtroumpf peut un jour mourir, et le village être détruit dans une guerre civile déclenchée par l'appât du pouvoir ?
Le capitaine Haddock peut-il avoir une cirrhose du foie et Milou être écrasé par une voiture ?
Bref : à qui appartient le personnage principal d'une série qui dure ? A l'auteur ? Ou à ses lecteurs ? (vous avez 2 heures)