Philoctète et les femmes, de Carlé (l'association)

C'est pas de chance, quand même. On a beau être un héros, avoir participé aux exactions les plus fameuses (les forfaits des argonautes, aux confins du monde), avoir été le fidèle ami du plus costaud des demis-dieux, on peut se retrouver dans des emmerdes assez poisseuses... Il faut dire que quand les dieux s'en prennent à vous, ça peut effectivement mal tourner.

Alors que le monde a les yeux tournés vers ce qui aurait dû faire sa gloire, Philoctète se trouve abandonné par ses anciens compagnons, partis guerroyer à Troie. Une vilaine plaie qui ne veut pas guérir, et une peuplade exclusivement féminine lui en font baver, à notre héros. Devenu le jouet de ces amazones, il leur sert d'outil de plaisir, de reproduction, et de gibier de chasse.

Le mythe de Philoctète fait partie de la grande épopée troyenne, qui n'a de cesse d'inspirer la littérature, et la bande dessinée en particulier (de Age Of Bronze à un prochain Ulysse de Jean Harambat à paraître en novembre) à laquelle il relie l'histoire d'Héraklès. Ayant trahi la mémoire de ce dernier, Philoctète, mordu par un serpent, devient, sur l'île sur laquelle Ulysse et les chefs grecs le laissent, la figure de l'homme-animal, qui perd peu à peu les traces de la civilisation, mais qui possède cependant la clef de la victoire. Peu présent dans la geste homérique, c'est par Sophocle, puis plus tard par Ovide, que son histoire nous est rapportée.

C'est à ce mythe que s'attaque Grégoire Carlé, dans ce gros volume de la collection éperluette à l'association. On l'avait découvert avec La Nuit Du Capricorne, chronique adolescente de l'été qui s'écoule, de l'espace ténu entre l'enfance et le monde adulte. Avec Philoctète et Les Femmes, Carlé développe ce récit en germe dans son précédent livre, avec un graphisme plus rude, une narration plus diluée, plus linéaire.


Exploration du monde antique, Philoctète et les Femmes vaut autant pour son évocation du mythe que pour l'approche très documentée des rites primitifs de Lemnos qu'il propose. Car Carlé collisionne l'histoire de Philoctète aux légendes entourant ces îles des confins : Lemnos était connue pour abriter une cité de femmes, qui avaient assassiné leurs maris. Les deux histoires sont liées dans l'aventure des Argonautes, mais il n'est plus fait référence à ce peuple dans les légendes troyennes.


Même si l'histoire de Philoctète était citée dans La Nuit du Capricorne, tout comme la descendance littéraire de ce mythe, de l'histoire de Robinson à Sa Majesté des Mouches, et même si l'on peut voir aussi des liens entre les deux (la mystique chtonienne, le rôle des femmes, les bêtes...), on mesure à la lecture de ce nouvel ouvrage le grand écart que fait Carlé entre l'intimité de son précédent album et la dimension universelle des mythes fondateurs.


lire le début : http://en.calameo.com/read/002642717d1a146577622

Sitôt emprunté, sitôt lu. Un parallèle s'impose dès les premières pages avec la lecture d'Herakles : pas tant sur le thème mythologique, que par la présence des petites saillies ( oui, bon ...) rigolotes et décalées de notre infortuné gibier mâle. D'où le sourire qui accompagne la lecture, pourtant copieuse. L'histoire échevelée galope au bon rythme, J'ai particulièrement aimé le passage du délire chamano-astro-cosmique ! Par contre mon œil n'a pas trouvé pas son compte dans le dessin ( pas plus que dans la nuit du capricorne ). Pas assez mignon pour moi, sans doute

Philoctète est un très bon livre, complexe et érudit.
Plusieurs lectures ont été nécessaires (ça tombe bien, j'étais obligé !) pour saisir l'ensemble du livre.
Il aura fallu aussi se plonger un peu dans la mythologie grecque.
J'espère que Carlé saura vous conquérir ou vous convaincre vendredi soir ! Je tenterai modestement de l'aider !

C’est vrai, je suis curieuse de découvrir son univers afin de mieux le décrypter. Je ne l ‘ai lu qu’une fois et en effet je pense que ça ne suffit pas pour apprécier cet ouvrage . Je rejoins Naphtalène concernant le dessin, tout en décelant malgré tout un indéniable talent, ses oiseaux sont magnifiques … je viens de terminer Baku, et j ai totalement adhéré, cette lecture éclaire pour moi celle de Philoctète ; de la même manière, Carlé s’ y approprie tout : sur le plan graphique, en se référant notamment aux estampes et sur le plan littéraire en plongeant dans la mythologie , japonaise cette fois-ci, afin de traiter de thèmes universels et fondamentaux tels que la mort, l’amour, la puissance de la nature, la vie en résumé , tout cela en portant un regard à la fois poétique et drôle… il y a de la profondeur et de la légèreté dans son approche : femme /homme, chtonien/ouranien , Carlé semble vouloir réconcilier les contraires et pour en revenir à notre pauvre (anti)héros , c’est amusée que j’ai suivi ses péripéties, sans jamais m’ennuyer, l’épisode paroxystique du rituel étant tout à fait inoubliable…je trouve qu’il y a beaucoup de liberté chez cet auteur qu’il me tarde de rencontrer…

Igor a écrit:

Philoctète et les femmes: Voilà il est castré par les Lemmos. Heureusement les paysages sont jolis, voir onirique. Peut-être que je n'ai pas vraiment compris le message sur la théorie du genre.

Je ne pense pas que Philoctète soit du tout castré par les Lemniennes, il continue d'ailleurs de vivre
sa petite vie de mâle, sur de lui et arrogant.

Je ne pense pas non plus que Carlé ait voulu faire une quelconque théorie des genres ici.

Après La Nuit du capricorne qui m'avait enchanté, j'ai découvert avec enthousiasme cette nouvelle BD de Carlé, et je n'ai été en rien déçu!
J'aime le dessin, des fois confus mais magnifique.
Il faut se replonger dans la mythologie pour apprécier un peu plus l'histoire, mais l'ensemble, plein de liberté, est réjouissant.
Le ton décalé, anachronique, les reflexions triviales, les petites références ça et la (Le Bernard l'hermite Thierry...) sont jouissif.

Une vraie réussite, et une fin que je trouve très habille, drôle, décalée et ironique.

L'histoire de Daphné est particulièrement réussie, un fil conducteur qui évoque des thématiques graves dans une approche générale
plus légère.
L'importance de l'astronomie aussi, intimement liée à la mythologie prend ici une place très plaisante.

Très impatient de venir à la rencontre de l'auteur et de la présentation de Superphane et Eraserhead.

On compte sur vous ! Plus le public sera vivant, mieux ce sera

allez...

Je n'ai pas pu/su me détacher lors de cette lecture de mes lectures d'Heraklès qui m'avaient fortement conquises. Du coup, déception au rdv.... Il me tarde cependant d'assister à la rencontre de demain pour pouvoir étoffer mon point de vue!

Navré de ne pas avoir été des vôtres hier, mais impossible de me libérer.
Ce livre est vraiment déroutant, par son humour, son récit, et les thèmes abordés que je connais mal. Je n'ai pas pu le lire plusieurs fois, et il me laisse un peu interdit.

Une excellente lecture qui en appelle d'autres car il y a de multiples facettes à ce livre foisonnant et passionnant. Grégoire Calé à réussi un fabuleux mélange des genres plutôt étonnant et qui peut presque passer inaperçu avec une lecture trop rapide tellement tout se tient.
Les éclairages apportés au cours de la rencontre ne sont pas de trop et m'ont permis d'aller plus loin dans cette re-lecture. Une belle découverte.

Merci à Jérome pour le prêt, je me suis pressé de le lire pour te le ramener bien vite et j'aurai pas dû d'autant que je ne pourrai pas passer ce soir... Ayant également manqué la rencontre et n'étant pas très à l'aise avec la mythologie, je vous avoue être passé à côté de la plaque totalement, donc difficile d'avoir un avis qui tient la route. On évoquait par ailleurs la capacité d'un livre à eveiller de la curiosité et de l'interêt sur un sujet qui nous n'est pas familier, Prevert a réussi à m'atteindre là ou Philoctète m'a laissé sur le quai. Mais comme je l'ai dit, lecture trop rapide et tel le vautour, survolé. Néanmoins, j'aime beaucoup la dérision dont l'auteur fait preuve et je suis plus réservé sur la lisibilité graphique de certaines planches.