Cette histoire est venue de l’enfer, comme si le Londres victorien contenait dans son ventre les monstres propres aux meilleures histoires.
« From Hell » peut être qualifiée de Bd historique si l’on tient compte de la densité de la narration. Six cent pages au service d’une des plus grandes affaires criminelles de l’Histoire, une « autopsie de Jack l’éventreur ».
Allan Moore (l’un des plus grands scénariste comics que la terre eu portée, soit dit en passant) se livre à une compilation minutieuse des sources et une reconstitution fascinante des évènements qui secouent Londres en cette fin de siècle.
Les dessins d’Eddie Campbell illustrent une réalité historique autant qu’ils donnent vie à l’atmosphère de ce Londres sombre et terrifiant, qui aujourd’hui encore animent les fantasmes des foules.
Le découpage des séquences est parfaitement construit pour servir le récit dans des tons exclusivement noirs et blancs et des traits fins.
Les personnages, les lieux sont parfaitement reconstitués et les plans imaginés avec audace renouvellent sans cesse le rythme et la construction de la narration.
Moore et Campbell nous font donc découvrir les multiples protagonistes et rebondissements d’une affaire policière complexe, les enjeux et les intérêts qui ont animé la capitale victorienne et la couronne d’Angleterre.
L’intrigue présentée par Allan Moore sur les origines et les motivations de Jack l’éventreur est tirée de la thèse de Stephen Knight, qui fut largement critiquée et condamnée comme fausse et insensée par la communauté des historiens anglais.
Selon son étude les assassinats de Jack faisaient partie d’une conspiration maçonnique pour dissimuler la naissance d’un enfant illégitime susceptible de déstabiliser la famille royale.
Toutefois le but des auteurs était d’utiliser la version des évènements de Knight comme base scénaristique à la reconstitution des meurtres de l’éventreur.
« From Hell » n’en demeure pas moins une fiction, revendiquée par ses auteurs, qui proposent également de nombreuses pages d’explications entre les scènes reconstituées à partir des sources historiques et policières et les scènes inventées pour construire l’intrigue.
L’un des aspects les plus réussis demeure l’analyse de la psychologie de Sir William Gull « Jack l’éventreur » dans cette version qui a également fait l’objet de nombreuses recherches psychanalytiques autour des modes opératoires et des « motivations » du tueur en série.
« From Hell » a également permis à Allan Moore de développer une critique sociale et politique sévère du Londres de la fin du 19e siècle, de l’ère victorienne et de ses importantes inégalités sociales. De même l’œuvre est sous-tendue par un discours profondément féministe dénonçant l’ascendance de l’homme sur la femme pendant toute cette période.
Dans cette vision globale, précise et complexe on détecte également les éventuelles causes sous-jacentes à la création d’un esprit aussi dérangé, fou et violent que celui de Jack l’éventreur.
Ainsi résonne comme un appel au monde les mots que l’on a attribué à l’éventreur : « Je suis celui par lequel le XXe siècle arrive. » puisqu’on le considère aujourd’hui comme le premier tueur en série a avoir été diagnostiqué (après coup bien sur).